La gourmandise - Roald Dahl /index.php/ fr 2007-01-13T10:50:56+01:00 daily 1 2007-01-13T10:50:56+01:00 Etude sur l'Enorme crocodile /index.php/2007/01/13/18-etude-sur-l-enorme-crocodile 2007-01-13T10:50:56+01:00 fr Camille Crozier Pause chocolatée Bientôt en ligne une étude sur L'Enorme crocodile de Roald Dahl. Il va falloir un petit peu patienter.... Bientôt en ligne une étude sur L'Enorme crocodile de Roald Dahl. Il va falloir un petit peu patienter.]]> Introduction /index.php/2006/12/12/16-introduction 2006-12-12T21:26:44+01:00 fr Camille Crozier Introduction De tout temps, les confiseries ont été mises hors de portée des enfants. Pour les adultes, les aliments au goût doux ne sont pas recommandés à cet âge. Cependant la plupart des enfants, s'ils étaient libres de choisir leur univers alimentaire, le constitueraient de gourmandises...

De tout temps, les confiseries ont été mises hors de portée des enfants. Pour les adultes, les aliments au goût doux ne sont pas recommandés à cet âge. Cependant la plupart des enfants, s'ils étaient libres de choisir leur univers alimentaire, le constitueraient de gourmandises des plus flatteuses pour le palais. Ce n'est pas la Comtesse de Ségur qui le contredira. Dans les Malheurs de Sophie, la comtesse, précurseur dans la littérature enfantine, décrit une petite fille espiègle et gourmande. Les fruits confits, le pain et la crème sont des mets qu'affectionne tout particulièrement la petite Sophie, mais ces mêmes douceurs entrent en opposition avec les valeurs inculquées par sa mère : « sa maman savait que trop manger est mauvais pour la santé ; aussi défendait-elle à Sophie de manger entre les repas : mais Sophie, qui avait faim, mangeait tout ce qu'elle pouvait attraper »1.

À cette gourmandise insouciante et impulsive, les adultes répondent donc par la punition. Ces répercutions sur les enfants ne semblent être que le miroir de leurs propres frustrations. Pour eux, la gourmandise est source de « gastrolastress »2 . Ce néologisme explique que nous sommes tous gastronomes, mais également tous angoissés par les conséquences éventuelles de notre gourmandise. Les confiseries, les petits pains et la crème tant appréciés seront ainsi pour la petite Sophie la cause de dures réprimandes et de douleurs terribles. Il semble que nul ne peut se livrer à une gourmandise insouciante sans qu'il y ait ensuite des conséquences fâcheuses.

Ces angoisses se répercutent bien évidemment dans les écrits pour la jeunesse soucieux de morale et de pédagogie. Les adultes, semble-t-il, se sentent responsables du comportement alimentaire de leurs enfants qu'ils veulent à tout prix rendre raisonnables, et ceci dès le XVII? siècle. À cette époque, des réformateurs puritains et zélés considèrent les enfants plus proches du péché originel que les adultes. Ils les perçoivent comme une terre particulièrement digne d'être travaillée parce que les enfants semblent être malléables et donc faciles à influencer. C'est dans cette optique et afin de conditionner les enfants qu'est née la littérature de jeunesse. Celle-ci représente un moyen efficace pour brider les jeunes âmes enclines au péché.

Au XVIIIe siècle, un bouleversement s'opère en Angleterre où l'éditeur John Newberry publie des livres plus ludiques et des magazines de vulgarisation scientifique, tous destinés à un public jeune. Cependant, ces livres apparaissent toujours dans un souci moralisateur ou pédagogique inspirés le plus souvent par l'Émile de Rousseau.

Enfin au XIX? siècle, les livres pour la jeunesse se veulent moins moralisateurs et plus proches de la fantaisie et de l'imaginaire, et cela surtout en Angleterre. Par exemple, publié en 1846, le Livre du Nonsense d'Edward Lear exploite essentiellement le non-sens pur et absolu. Il se laisse emporter par une imagination débordante, proche de la folie. Les Aventures d'Alice au pays des merveilles, publié en 1865 sous le pseudonyme de Lewis Carroll, est également un ouvrage essentiel dans l'histoire de la littérature de jeunesse.

Dans ce dernier ouvrage, un élément particulièrement novateur va bouleverser la littérature de jeunesse ; il s'agit du point de vue adopté par le narrateur. Ce n'est plus sur l'enfant qu'on écrit, mais c'est bien l'enfant lui-même qui semble écrire ou raconter. Plus tard, c'est Peter Pan qui institue comme Alice le primat de l'enfant dans la littérature. Au XX? siècle, même si elle est encore controversée, la littérature de jeunesse est une branche importante de l'édition.

Par ailleurs, la littérature enfantine a pu se libérer des contraintes du moralisme des premiers contes écrits spécifiquement pour les enfants. En effet, l'ambition éducative du XIX? siècle utilisait les livres de jeunesse pour inculquer aux enfants les valeurs de la bonne société. Puis, progressivement la morale et l'idéologie ont été prises en charges par l'école. Le livre ne sera alors plus le seul moyen d'éduquer ; les enseignants auront bien plus d'impact sur les jeunes. Cette littérature « libérée » a permis aux récits imaginaires de ne plus être considérés comme dangereux. Elle devient alors un moyen de distraction. En Angleterre, la littérature enfantine se spécialise dans la fantaisie3 et en fait un aspect essentiel et fondamental de sa culture. Celle-ci prendra une essor certain puisqu'aujourd'hui encore c'est son univers magique et époustouflant qui fait le succès de la série anglo-saxonne des Harry Potter. Jean Gattegno spécialiste de la littérature enfantine anglaise explique cette attraction de l'enfant pour la fantaisie :

un besoin de l'intelligence enfantine est [...] de laisser vagabonder en tout liberté une imagination qui ne connaît pas vraiment la différence entre réel et irréel, entre possible et impossible. Là où l'adulte spontanément critique un fait ou un récit au nom de la vraisemblance ou de la certitude scientifique, l'enfant se contente d'ouvrir les yeux un peu plus grands .4

Roald Dahl, célèbre auteur de littérature enfantine anglaise et contemporaine, est tout à fait en accord avec cette pensée. Il est passé maître dans l'art de construire ces récits dans le but de captiver l'intérêt de son jeune public. Il joue sur la participation émotive et surtout sur la curiosité sans limite et sans bornes de ses lecteurs. De plus, fort d'une double culture anglaise et norvégienne, il offre aux enfants une ouverture vers un monde imaginaire plein de rebondissements et source de nombreux étonnements. D'une part, l'Angleterre, son pays natal, est le berceau des contes arthuriens propices aux récits d'aventures, et d'errance. D'autre part, la Norvège, son pays d'origine est traditionnellement peuplée de sorcières, d'elfes et de trolls cachés dans des forêts ensorcelées. Ces contes norvégiens sont de purs produits de l'imagination, toujours riches de symboles. Ils dépeignent les relations humaines dans un style flattant le goût du merveilleux. Roald Dahl a su dans son oeuvre utiliser avec brio le merveilleux et l'imaginaire de ces deux cultures. Ainsi, ce double héritage est particulièrement bien retranscrit dans Sacrées Sorcières où les récits et les légendes de la grand-mère norvégienne se lient harmonieusement aux traditions anglaises.

Cet auteur est aussi connu pour être sollicité par les enfants et non pas proposé par les parents. La recette de Roald Dahl pour intéresser les enfants est simple. Créateur d'envie et de plaisir, il utilise un appât auquel aucun enfant ne peut rester indifférent : la gourmandise. Et comme le disait Rousseau à propos des enfants : « Mille choses sont indifférentes au toucher, à l'ouïe, à la vue ; mais il n'y a presque rien d'indifférent au goût »5.

La gourmandise est cependant un sujet délicat à aborder, car il pèse sur elle de nombreux siècles de contestations à son sujet. Il convient donc d'expliquer l'évolution de ce comportement alimentaire au cours des siècles pour comprendre les connotations diverses qui pèsent sur ce trait de caractère. Durant des siècles, l'épée de Damoclès menace les hommes qui s'adonnent avec délectation aux plaisirs de la bonne chère. Longtemps réservée aux adultes, on comprend bien vite que la gourmandise est une affaire d'enfants. Seuls ces petits individus sont capables de l'apprécier dans toute sa dimension sans que celle-ci présente un aspect menaçant ou culpabilisant.

Dans l'oeuvre de Roald Dahl nous découvrons de nombreux aspects de cette gourmandise. Beaucoup d'enfants et d'adultes ont fantasmé sur les délicieuses friandises de Charlie et la chocolaterie, mais ce livre n'est pas le seul a nous ouvrir l'appétit. Charlie et la chocolaterie, Le Bon Gros Géant, Matilda et James et la grosse pêche6 ouvrent sur des mondes merveilleux et extraordinaires où la nourriture joue un rôle important, adoptant les formes les plus variées et les plus inattendues. La gourmandise de Roald Dahl jalonne indubitablement la vie des héros de ces quatre histoires. Elle apparaît et représente une gourmandise idéale et sans complexe pour les enfants. Au contraire de la rebutante gloutonnerie, elle évoque une forme sympathique et amusante de la collation qui peut être rapprochée de l'enfance. Goûter en savourant les plaisirs de la vie : voilà l'adage de Roald Dahl.

Les images et formes de la gourmandise chez Roald Dahl ont été illustrées par de nombreux artistes. Néanmoins, seul Quentin Blake peut aujourd'hui, après la mort de Roald Dahl, se revendiquer comme le plus proche de ses oeuvres par sa complémentarité avec l'auteur. Blake nous offre une deuxième lecture des livres en actualisant l'univers de l'écrivain. Il permet alors de donner vie aux personnages à travers un trait caractéristique tout en y ajoutant sa touche personnelle et en renforçant l'humour qui était si cher à son ami.

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Bibliographie /index.php/2006/12/11/15-bibliographie 2006-12-11T23:15:34+01:00 fr Camille Crozier Bibliographie Bibliographie Retour au texte 1 Comtesse de Ségur, Les malheurs de Sophie, Paris : Édition J'ai lu, collection Librio, p. 36. Retour au texte 2 Néologisme de Jean-Pierre Corbeau, professeur de sociologie de l'université de Tours. Retour au texte 3Nous...

Bibliographie

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1 Comtesse de Ségur, Les malheurs de Sophie, Paris : Édition J'ai lu, collection Librio, p. 36.

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2 Néologisme de Jean-Pierre Corbeau, professeur de sociologie de l'université de Tours.

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3Nous utiliserons ici le terme fantaisie tel que l'a défini Monique Chassignol dans La fantaisie dans les récits pour la jeunesse en Grande-Bretagne de 1918 à 1968, Paris : Didier érudition, 1986. La fantaisie serait selon elle :

    « tout ce qui, créé par l'imagination, semble s'opposer à la réalité, en même temps que cette notion de liberté, de libre jeu du pouvoir d'invention de l'auteur. [...]Tous les textes où l'invraisemblance, le caprice singulier d'une imagination apparemment exercée hors de tout appui sur la réalité, se donnent libre cours. »(p.10-11).

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4Jean Gattégno, Lewis Carroll, Paris : José Corti, 1970, p.86. Cité par Monique Chassignol, op. cit., p.6.

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5 Jean-Jacques Rousseau, L'Émile ou De l'éducation, Paris : Librairie de Firmin Didot Frère, 1854, p.161.

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6Des résumés de ces quatre ouvrages se trouvent en Annexe I.

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7 BRILLAT-SAVARIN Jean Anthelme, Physiologie du goût, Paris : Charpentier, 1847, p. 37.

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8FURETIÈRE Antoine, Le dictionnaire de la langue française, Paris : Librairie ancienne d'Honoré Champion, [1690].

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9POILÂNE Lionel, Supplique au pape pour enlever la gourmandise de la liste des péchés capitaux, Paris : Éd. Anne Carrière, 2004, p.13.

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10IMBS Paul (dirigé par), Trésor de la langue française, Paris : Ed. du Centre National de la Recherche Scientifique, 1952.

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11BRILLAT-SAVARIN Jean Anthelme, op. cit., p.141.

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12D'AQUIN Thomas, Somme théologique, Ia Qu.76 art.3, Saint Thomas cite le traité De l'âme.

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13MAUPASSANT Guy de, Le Rosier de Madame Husson. Texte publié dans La Nouvelle Revue du 15 juin 1887 [« Le Rosier de Madame Husson », in : Le Rosier de Madame Husson », Paris : Gallimard, 1990, p. 36.]

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14PLATON, Phédon, Tome IV, Paris : « Les Belles Lettres », 1983, 66b-67a, (p.16-17).

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15Ibid., 65a (p.14).

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16VINCENT-CASSY Mireille, « Un péché capital », in : La gourmandise, délice d'un péché, Paris : Autrement, Collection mutations/mangeurs n°140, novembre 1993, p.19.

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17Ibid., p. 21.

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18LITTRÉ Emile, Dictionnaire de la langue française, édition de 1872.

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19FURETIÈRE Antoine, op. cit..

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20FÉRAUD Jean François, Dictionnaire Critique de la langue française, Marseille : Mossy, [1787].

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21Dictionnaire de L'Académie française, huitième édition (1932-5).

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22IMBS Paul (sous la direction de), op. cit..

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23BERCHOUX Joseph, Gastronomie ou l'homme des champs à table, pour servir de suite à l'Homme des champs par J. Dellile, Paris : L. G. Michaud, 1801.

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24BRILLAT-SAVARIN Jean Anthelme, op. cit., p. 53-54.

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25IMBS Paul (sous la dir.), op. cit.

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26BAHLOUL Joëlle, « L'appétit vient en jeûnant », in : La gourmandise, délice d'un péché, Paris : Autrement, collection mutations/mangeurs n°140, novembre 1993, p. 50-53.

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27HUGUET E. , Dictionnaire de la langue française au seizième siècle, Paris : Champion/ Didier, 1925.

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28NIETZSCHE Friedrich Wilhelm, Le Gai Savoir, Paris : Flammarion, 2000, I,7, p.66.

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29 ONFRAY Michel, Le ventre des philosophes, Paris : Grasset, 1989.

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30RAPOPORT Danielle, « Les plaisirs de l'ascèse », in : Le mangeur. Menus, maux et mots, Paris : Autrement, Collection Mutations/Mangeurs n°138, 1993, p.101.

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31TURLAN Catherine, « Enfant gourmand », in : La gourmandise, délice d'un péché, dirigé par Catherine N'Diaye, Paris : Autrement, Collection mutations/mangeurs n°140, novembre 1993, p.44-45.

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32ZOLA Émile, L'Assommoir, Paris : Garnier/Flammarion, 1969, [1878], p.213-249.

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33FISCHLER Claude, op. cit., p.121.

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34VINCENT-CASSY Mireille, op. cit., p.28-29.

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35BERCHOUX Joseph, op. cit..

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36MAUPASSANT Guy de, Bel -Ami, Paris : Bordas, 1988, [1885], p.26.

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37BRILLAT-SAVARIN Jean Anthelme, op. cit., p.147.

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38BRILLAT-SAVARIN Jean Anthelme, op. cit., p.140.

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39PITTE Jean-Robert, Gastronomie française, Paris : Librairie Artheme Fayard, 1991.

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41BRILLAT-SAVARIN Jean Anthelme, op. cit., p.52.

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42BRILLAT-SAVARIN Jean Anthelme, op. cit., p.141.

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43FISCHLER Claude, op. cit., p.122.

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44FOURNIER Dominique, « Ferments de culture », in : Mille et une bouches. Cuisines et identités culturelles, sous la direction de Bessis Sophie, Paris : Autrement, collection Mutations/Mangeurs, N°154, 1995, p. 34.

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45MARENGO Claudine, « À table », in : Mille et une bouches. Cuisines et identités culturelles, Paris : Autrement, Paris, Collection Mutations/Mangeurs, n°154, 1995, p.56-57.

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46FISCHLER Claude, Le repas familial vu par les 10-11 ans, Paris : Autrement, Les Cahiers de l'OCHA N°6, 1996, p. 55.

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47FURETIÈRE Antoine, op. cit..

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48La même définition est employée dans le Dictionnaire de l'Académie française (quatrième édition, 1762) ainsi que dans le dictionnaire d' Émile Littré (1872).

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49LITTRÉ Émile, Dictionnaire de la langue française, [1872].

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50RABELAIS François, Gargantua, Paris : Pocket, 1992, p.191.

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51JOUANNA Arlette, Ordre social, mythes et hiérarchies dans la France du XVI? siècle, Paris : Hachette, 1977, p.24.

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52RABELAIS François, op. cit., p. 67.

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53ROUSSEAU Jean-Jacques, Émile ou De l'éducation, Paris : Librairie de Firmin Didot Frère, 1854, p.12.

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54DESRUISSEAUX-TALBOT Amélie, « L’éducation par la bouche : les livres I-III de l’Émile de Rousseau », in : Phares, Volume 2, été 2002, (non paginé).

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55ROUSSEAU Jean-Jacques, op. cit., p.161.

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56MAC LEOD Patrick, « Sur le bout de la langue », in : La gourmandise, délice d'un péché, p. 77.

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57Ibid., p. 75.

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58RENOIR Jean, « Par le bout du nez », in : Le Mangeur. Menus, maux et mots, p.145.

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59RENOIR Jean, op. cit., p.145.

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60ALAVOINE Bernard, « De Proust à Siménon : l'aliment au coeur sensible » in : Le Roman et la nourriture, colloque organisé par le Centre d'étude du roman et du romanesque, Besançon : Centre Presse Universitaire Franc-comtoise, 2003, p. 64.

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61Ibid, p. 73.

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62 Cité par PICARD Marie-Amélie, Aliments du désir, Paris : Trajectoire, 2003, p. 52.

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63BELLISLE France, « Qu'est-ce que l'appétence ? », in : La gourmandise, délice d'un péché, p.71-72.

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64Ibid., p.71-72.

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65ROUSSEAU Jean-Jacques, op. cit., p.162.

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66Ibid., p.161.

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67 Ibid., p.162.

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68Ibid., p.161.

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69Ibid., p.161.

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70PONCHON Raoul, .

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71FURETÈIRE Antoine, op. cit..

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72VALLÈS Jules, L'enfant, Paris : Livre de Poche, 1985, [1881], p.68-69.

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73ALAVOINE Bernard, op. cit., p. 63.

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74AUDIBERTI Marie-Louise, « L'enfance boulimique », in : Nourritures d'enfance. Souvenirs Aigres-doux, Paris : Autrement, Collection Mutation/Mangeur,1992, p63.

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75 ROUSSEAU Jean-Jacques, op. cit., p.162.

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76DAHL Roald cité dans une fiche de présentation réalisée par les éditions Gallimard Jeunesse, [en Ligne], http://www.gallimard-jeunesse.fr/medias/20/pdf_auteurs/dahl.pdf, pages consultées le 13 mars 2006, p.1.

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77 Ibid., p.1.

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78Cité par COMBET Claude, in : « Roald Dahl », Encyclopeadia Universalis, 2004.

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79HOWARD Kristine, « My Dahl biography », [en ligne], http://www.roalddahlfans.com, pages consultées le 14 janvier 2006 :

« Had I not had children of my own, I would have never written books for children, nor would I have been capable of doing so ».

Par ailleurs, afin de simplifier la lecture, nous tenons à préciser que toutes les citations anglaises sont traduites par nos soins.

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80« The children's book of Roald Dahl », in : Book and Magazine Collector, n°58, janvier 1989, (http://www.roalddahlfans.com/articles/bmcjan89.php) :

« Some adults may find his stories objectionable, but Dahl is not writing for them. He is writing for children, and they adore him in large numbers ».

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81LURIE Alison, Ne le dite pas aux grands, Essai sur la littérature enfantine, Paris : Edition Rivage, 1991, p.66-67.

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82BETTELHEIM Bruno, Psychanalyse des contes de fées, Paris : Robert Laffond, 1976, p.81.

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83DAHL Roald, Moi, Boy, Paris : Gallimard Jeunesse, 1997, p.40.

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84DAHL Roald, op. cit., p.172.

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85PEDEROS Jean, « N'est pas gourmand qui veut ! », in : Revue Dada n°105, La gourmandise , Belgique : édition MangoPresse, novembre 2005.

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86DAHL Roald, op. cit., p.3.

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87Cité par COMBET Claude, in : « Roald Dahl », Encyclopeadia Universalis, (Version CD Room), 2004.

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88DAHL Tessa, « Once upon a time, childhood was made of magic... », in : The Sunday Times, 23 avril 2000 : « Titillation, suggestion and naughtiness left us room to make our own discoveries in our own time. We did not have smut rammed down our throats. »

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89MONTANDON Alain, Du récit merveilleux ou l'ailleurs de l'enfance, Paris : Éditions imago, 2001, p.10.

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90Afin de simplifier la lecture, nous utiliserons désormais cette abréviation pour désigner le personnage nommé le Bon Gros Géant.

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91Jacqueline Held explique que « la gourmandise primordiale » serait le déclencheur du merveilleux puisque celle-ci serait comme le « prisme kaléidoscope à travers lequel les îles du fleuve d'Argal sont perçues comme un immense saladier d'oeufs à la neige... », op. cit., p.39.

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92FÉNELON, « Voyage dans l'île des plaisirs », in : Télémaque, Paris : Librairie de Firmin Didot Frère, 1841, p.474.

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93SAINT-POL-ROUX cité par HELD Jacqueline, op. cit., p.8.

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94 DAHL Tessa, op. cit. : « But you did not overprotect me. If the local fire station alarm sounded, we would follow the fire engine to its destination. Real-life drama was interlaced with phantasmal scenarios. We were taught to understand and therefore to empathise by thinking what it could or would be like to be them »

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95SCHUHL Pierre-Maxime, L'imaginaire et le merveilleux, la pensée ou l'action, Paris : Flammarion, 1969, p.51.

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96DAHL Tessa, op. cit. : « There was no subtlety, no entrancement, no mystery at all, [...]. Nothing was left to the imagination. How different from your insistence always to respect the audience and allow them to travel into their world and weave a story in their own language. It seems nowadays that teenagers are not allowed the luxury of self-translations. »

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97WOOD Michael, « The Confidence Man », in : New Society, le 27 décembre 1979, p.14-16. L'auteur de cet article nous montre comment Roald Dahl manipule dans ces livres ses jeunes lecteurs.

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98ROUSSEAU Jean-Jacques, op. cit., p.133.

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99Ibid., p.161.

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100Ibid., p.163.

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101Néologismes de Roald Dahl utilisés dans le BGG.

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102DAHL Roald, Moi, Boy, Paris : Gallimard jeunesse, 1997, p.171.

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103CHÂTELET Noëlle, « On dirait que ce serait », in : Nourritures d'enfance. Souvenirs aigres-doux, Paris : Autrement, Collection Mutations/Mangeurs, n°129, 1992, p.146.

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104 DAHL Roald, op. cit. , p.36.

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105 DAHL Roald, Les nouvelles irrésistibles recettes de Roald Dahl, Paris : Gallimard jeunesse, 2002.

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106 CARROLL Lewis, Les Aventures d'Alice au pays des merveilles, Paris : Édition J'ai lu, 2000, (collection Librio), p.11.

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107 DAHL Roald, op. cit., p.100.

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108 LURIE Alison, op. cit., p.149.

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109 SORIANO Mark, Guide pour la littérature pour la jeunesse, Paris : Flammarion, 1975.

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110 BETTELHEIM Bruno, op. cit., p.208.

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111 FÉNELON, op. cit., p.477.

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112 Ibid., p.475.

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113 FISCHLER Claude, op. cit., p.122.

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114 DOUIN Jean-Luc, « Roald Dahl, écrivain britannique à succès » in : Le Monde, p.14, le 13/07/2005.

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115 DOUGLAS Virginie, « Les oeuvres pour enfants de Roald Dahl. La revanche de l'enfance moderne ? », in : Enfance d'en face, Rouen : Presse Universitaire de Rouen, 2002, p.139.

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116 PROPP Vladimir I., La morphologie du conte, Paris : Seuil, 1970, p.93.

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117 DOUGLAS Virgine, op. cit., p.135.

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118 BETTELHEIM Bruno, op. cit., p.194.

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119 Notons ici que le nombre d'occurrences du mot « father » est moins important que celui de « mother ». Cet écart significatif peut s'expliquer grâce à la biographie de l'auteur. En effet, Roald Dahl a perdu son père à l'âge de trois ans. Il fut entouré par la suite de figures essentiellement féminines, à savoir sa mère, Sofie Dahl, sa grand-mère qu'on retrouve dans Sacrées Sorcières, et ses soeurs.

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120 MICHEL Jeanne, L'imaginaire de l'enfant : les contes, Paris : Nathan, 1976, p.70.

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121 Cet adjectif est souligné par l'auteur.

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122 FISCHLER Claude, op. cit., p.121.

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123 SAINT-AUGUSTIN, Confessions, Paris : Les Belles Lettres, 1989, Tome I, livre huitième, Chapitre XII, §28-29.

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124 Nous avons préféré la version anglaise qui est moins édulcorée que la traduction française : « Ce garçon qui, voilà peu de temps, était rejeté de part en part par les hommes ».

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125 DOUGLAS Virginie, op. cit., p.134.

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126 Bruno Bettelheim explique effectivement que « la première expérience consciente de tout individu a trait à la nourriture et ses premières relations avec une autre personne s'établissent avec sa mère qui le nourrit. »

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127 DAHL Roald, Les Minuscules, Paris : Gallimard Jeunesse, 1993, p.9.

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128 BETTELHEIM Bruno, op. cit., p.198.

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129 CARROLL Lewis, op. cit., p.8.

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130 DAHL Roald, op. cit., p.3.

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131 HELD Jacqueline, L'enfant, le livre et l'écrivain, Paris : Édition du Scarabée, 1984, p.178.

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132 Ibid., p.178.

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133 DAHL Roald, op. cit., p.40.

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134 CARO Paul, « Le sourire du dinosaure », [en ligne], http://www.palais-decouverte.fr/revue/272/272art17.htm, pages consultées le 5 mai 2006.

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135 Cité par ROYER Sharon E., « Roald Dahl and Sociology », in :The Alan Review, Volume 26, n°1, automne 1998, (http://scholar.lib.vt.edu/ejournals/ALAN/fall98/royer.html) : In almost all of Dahl's fiction--whether it be intended for children or for adults--authoritarian figures, social institutions, and societal norms are ridiculed or at least undermined

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136 Le narrateur décrit les Verdebois comme des personnes « bornés, [...] confinés dans leurs petites existences étriqués et stupides »[14], une description ressemblant étrangement à leur plateau repas : « ils mangeaient des repas tout préparés dans des barquettes d'aluminium comportant des cases pour la viande bouillie, les pommes vapeur et les pois cassés »[30].

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137 VERRIER Jean, « une initiation jubilatoire », [en ligne], http://www.cndp.fr/revueTDC/832-41667.htm, page consultée le 27 avril 2006.

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138 « The children's book of Roald Dahl », in : Book and Magazine Collector, n°58, janvier 1989, (http://www.roalddahlfans.com/articles/bmcjan89.php) : « Writing for children is much harder than writing for adults. Children don't have the concentration of adults, and unless you hold them from the first page, they're going to wander away and watch the telly or do something else. They only read for fun; you've got to hold them ».

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139 HOWARD Kristine, op. cit., non paginé.

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140ÉMELINA Jean, Le Comique, essai d'interprétation générale, Paris : éditions SEDES, Collection Question de littérature, 1996, p. 65.

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141 WEISSEMAN Vicki, « I like Matilda... », in : The New York Times, 15 Janvier 1989, (http://www.roalddahlfans.com/books/matirev1.php) : « no one is really hurt, and the truths of death and torture are as distant as when the magician saws the lady in half. Children rapidly push aside what they don't want and, following their lead, so does Mr. Dahl when a character inconveniences the thread of his fantasy. »

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142 ÉMELINA Jean, op. cit., p.166.

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143 Dans une dédicace adressée à Quentin Blake, Pierre Marchand, directeur des éditions Galimard Jeunesse affirme qu'il ne peut imaginer les textes de Roald Dahl sans ses illustrations.

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144 CHAPUIS Lise, « Plasticiens, illustrateurs...quelles démarches de création d'images pour la jeunesse ? », in Littérature de jeunesse, incertaines frontière, Paris : Gallimard Jeunesse, 2005, p.128-139.

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145 The official Quentin Blake website, « How it's done », [en ligne], www.quentinblake.com/about/interview4.asp, consulté le 24 janvier 2006 : « I try to get as close to what the writer intended as possible – to get on their wavelength. The text, not the pictures, must lead the way. »

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146BLAKE Quentin, La vie de la page, Paris : Gallimard Jeunesse, 1995, p.75.

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147 Seules les illustrations de Charlie (Paris : Gallimard jeunesse, collection hors série littérature avec des illustrations en couleur, 1997) et de James (Paris : Gallimard jeunesse, collection hors série littérature avec illustrations en couleur, 1999) sont en couleur. Il n'existe pas d'édition en couleur pour Matilda (Paris : Gallimard jeunesse, 1994) et Le Bon gros Géant (Paris : Gallimard jeunesse, 1987).

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148 BLAKE Quentin, op. cit., p.41.

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149 Confère annexe intitulée « l'émancipation de James ».

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150 NOIVILLE Florence, « Tout l'art de croquer », in : La vie de la page, op. cit., p.9.

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151BLAKE Quentin, op. cit., p.42.

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152 DUMAS Philippe, « Mon ami Quentin Blake », in La vie de la page, op. cit., p.18.

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153ZOUGHEBI Henriette, in  La vie de la page, op. cit., p.6.

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154 La physionomie du géant contraste avec le titre français, Le Bon Gros Géant. Il n'est effectivement aucunement corpulent. Bien au contraire, il est décrit comme très mince dès les premières pages. Notons que le titre anglais est bien moins ambigu puisqu'il s'agit du The Big Friendly Giant signifiant littéralement le grand et amical géant.

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155 DAHL Roald, Le Bon Gros Géant, op. cit., 66-67.

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156 HELD Jacqueline, op. cit., p.147

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157 The official Quentin Blake website, « Favorite book », [en ligne,] http://www.quentinblake.com, pages consultées le 24 janvier 2006 : « I like The BFG, and that is partly because in various ways it was quite difficult to do and I was pleased when I got there in the end; and partly because the relationship between the BFG and Sophie is very interesting and obviously was very important to Roald Dahl. »

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158 Cité par KLEIN Marie-josé, « Quentin l'enchanteur », in : Nous voulons lire ! n°109, 1995

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159Réalisé par Mel Stuart.

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160Réalisé par Brian Cosgrove.

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161Réalisé par Danny Devito. Il y avait eu auparavant deux autres adaptations en 1978 et 1990.

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162Réalisé par Henry Selick.

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163Réalisé par Tim Burton.

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164Contre-rendu d'une interview avec Hedwige Pasquet, « Harry potter a cassé les tabous », http://cultureetloisirs.france2.fr/livres/dossiers/6141682-fr.php

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165 Les quatre ouvrages en gras correspondent au corpus étudié.

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166Ce site est incontestablement une source d'informations inestimables au vu des documents réunis, tels que des articles de presse, des photos, une bibliographie très complète,etc.

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Conclusion /index.php/2006/12/11/14-conclusion 2006-12-11T23:14:52+01:00 fr Camille Crozier Conclusion La gourmandise a depuis des siècles été sous le coup de l'injustice de nombreuses autorités. L'impropriété sémantique qui lui a été imputée la confondait avec la répugnante goinfrerie. Il était désormais temps de sortir du purgatoire de l'ambiguïté verbale où souffrent les... La gourmandise a depuis des siècles été sous le coup de l'injustice de nombreuses autorités. L'impropriété sémantique qui lui a été imputée la confondait avec la répugnante goinfrerie. Il était désormais temps de sortir du purgatoire de l'ambiguïté verbale où souffrent les gourmands. Il semblerait que la vérité ait enfin triomphé puisque le mot « gourmandise » est aujourd'hui associé à d'autres termes comme « aimable », « amical », « douceur ». Celui-ci est désormais évocateur de bien des satisfactions sensorielles. Il nous amène non seulement à la notion de plaisir, longtemps proscrite par les ascètes, mais aussi à la notion même d'instinct. En effet, la gourmandise va parfois à contre sens de la raison. Les enfants savent plus facilement que les adultes mettrent de côté leur raison pour privilègier cette gourmandise choisie. De nos premiers émois culinaires de notre enfance, chacun gardera un souvenir indélibible qui fera partie intégrante de l'identité aussi bien personnelle que culturelle.

L'intérêt que suscite la gourmandise chez les enfants n'a pas échappé à Roald Dahl. Celui-ci a refusé de voir dans l'absorption de mets délectables un comportement condamnable. Il décide alors d'utiliser le pouvoir fascinant de la nourriture sur ses jeunes lecteurs. Il se sert en effet de ce penchant pour accompagner l'enfant dans sa quête de vérité sur le monde, sans oublier non plus son objectif principal qui est de l'aider à entrer dans le monde des adultes en douceur.

La gourmandise est bien entendu ressentie sensoriellement, mais l'intellect ne doit pas être négligé pour autant. À chaque bouchée, notre cerveau cherche à analyser les saveurs et fait appel à nos souvenirs. Le processus de plaisir ressenti lors de l'absorption d'un aliment est en grande partie du à ces réminescence agréables. Quelques fois le simple fait de penser à un aliment nous fait saliver, l'intellect prédomine alors sur les sens.

Les nourritures merveilleuses des romans de Roald Dahl agissent de la même façon en faisant appel à notre imagination. Elles sont alors une sources infinie d'inspiration pour un illustrateur comme Quentin Blake. Ce dernier a su exploiter les idées de génie, l'imagination et l'instance créatrice de Roald Dahl, réalisant ainsi un tour de force. Les idées de Roald Dahl offrent tellement de possibilités d'interprêtation par leur caractère insolite que les illustrations devaient en effet être tout aussi libres. Le lecteur doit pouvoir se faire lui-même une idée du monde époustouflant et magique de l'écrivain. Quentin Blake n'a ainsi pas dénaturé le texte.

L'illustrateur et l'écrivain forment alors un couple désormais inséparable qui a réussi le pari de transmettre intelligemment leur savoir, l'un avec les image, l'autre avec le texte. Ils n'ont jamais oublié que les enfants sont moins indulgents que les adultes sur ce qu'ils lisent. De plus, ces deux amis ont toujours répondu avec justesse et créativité aux exigences si particulières de leurs jeunes lecteurs tout en conservant ce brin de folie qui leur est propre.

La directrice générale de Gallimard jeunesse, Hedwige Pasquet, disait à propos de la littérature de jeunesse que celle-ci était « beaucoup plus exigeante que la littérature générale. En effet, contrairement à un adulte, un jeune lecteur n'accepte jamais de s'ennuyer, même sur quelques pages »164. Cette phrase aurait pu être attribuée à Roald Dahl tellement cette perception est proche de sa conception de la littérature de jeunesse.

L'ennui est insupportable pour l'enfant qui ne peut rester passif devant un livre ou même quoi que ce soit qui ne lui apprenne rien ou qui ne répond à aucun de ses intérêts imminents. De plus, le monde apparaît si riche et offre tellement à découvrir qu'il est inconcevable d'exiger d'un enfant qu'il s'intéresse à un sujet ennuyeux. La lutte contre l'ennui, Roald Dahl souhaite la mener avec la gourmandise qui répond effectivement à un besoin naturel et impulsif de l'enfant.

L'univers gourmand de Roald Dahl est indubitablement lié à l'éducation puisque l'appréciation de la gourmandise n'échappe pas à cette nécessité d'une initiation préalable. La gourmandise est aussi un moteur et un stimulant de l'apprentissage. Ainsi, le plaisir culinaire s'apprend au même titre que la lecture et l'écriture. Il est ainsi tout aussi difficile de choisir ses mets que ses mots.

C'est pourquoi, il ne faut pas négliger non plus le but sans cesse recherché par notre auteur : donner envie aux enfants de lire. Plusieurs interviews relatent cet objectif premier. La Roald Dahl Foundation, créée après sa mort par sa deuxième femme, a pour ambition de promouvoir la lecture. C'est une réussite puisque quinze ans après la mort de Roald Dahl, de nombreux écoliers apprennent désormais à lire avec ses livres.

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Perspectives prometteuses /index.php/2006/12/11/13-perspectives-prometteuses 2006-12-11T22:22:30+01:00 fr Camille Crozier Troisième partie Si Roald Dahl a toujours compris l'intérêt de l'illustration, il a eu bien du mal à trouver un illustrateur qu'il jugeait capable d'interpréter son univers extraordinaire tout en ne dénaturant pas son texte. Néanmoins, après des débuts difficiles avec Quentin Blake – Roald Dahl...

Si Roald Dahl a toujours compris l'intérêt de l'illustration, il a eu bien du mal à trouver un illustrateur qu'il jugeait capable d'interpréter son univers extraordinaire tout en ne dénaturant pas son texte. Néanmoins, après des débuts difficiles avec Quentin Blake Roald Dahl jugeant le travail de celui-ci trop personnel – ils formèrent une équipe considérée aujourd'hui encore, après le mort de l'auteur, comme indissociable.

Quentin Blake, capable de prolonger les textes en les faisant dialoguer avec >les dessins, s'exprime ainsi sur le travail qu'il menait avec Dahl :

Roald Dahl avait comme moi la capacité d'imaginer des situations surréalistes – un lavabo jeté d'une fenêtre, un plat de spaghetti en vers de terre – avait la possibilité de créer un univers imaginaire imprégné d'une dimension poétique. L'ambiance de ses livres oscille entre l'insolite et le réalisme. Ce sont des contes à la fois baroques et émouvants, traités d'une manière comique qui nécessitent des équivalents graphiques porteurs d'une même sensibilité. Certains auteurs s'accommodent de l'illustration, mais Roald Dahl savait que c'était une part importante du livre. Aussi, il n'a jamais écrit le même livre et vous ne saviez jamais ce qui allait sortir ! 158

Quentin Blake n'est pas le seul à avoir su apprécier la grande part d'imagination que les livres de Roald Dahl donnent au lecteur. Le cinéma et la télévision ont en effet à de nombreuses occasions acheté les droits de ces différents ouvrages ; d'ailleurs les livres de notre corpus ont tous fait leur entrée en salle : Willy Wonka and the chocolate factory159 en 1971, The BFG160 en 1989, Matilda161 en avril 1997, James and the Giant Peach162 en juin 1997 et plus récemment Charlie and the chocolate factory163 en juillet 2005. En juin 2006, la compagnie cinématographique Warner Bros a annoncé que The Wiches (réalisé par Guillermo Del Toro), un autre livre de Dahl pour enfants, allait être porté sur grand écran.

L'oeuvre conjointe de Roald Dahl et de Quentin Blake va donc continuer longtemps à faire rêver petits et grands.

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L'humour illustré provoqué par la nourriture /index.php/2006/12/11/11-l-humour-illustre-provoque-par-la-nourriture 2006-12-11T22:18:48+01:00 fr Camille Crozier Troisième partie L'imaginaire chez Blake s'installe à tous les niveaux puisque ses dessins à la fois caricaturaux et humoristiques laissent une place importante à la fantaisie. Quentin Blake explique cela à propos de la création de personnages d'un livre dans La vie de la page : « l'un des... L'imaginaire chez Blake s'installe à tous les niveaux puisque ses dessins à la fois caricaturaux et humoristiques laissent une place importante à la fantaisie. Quentin Blake explique cela à propos de la création de personnages d'un livre dans La vie de la page : « l'un des avantages du dessin, dépourvu de l'authenticité documentaire de la photographie, c'est qu'il laisse le lecteur une certaine latitude à son imagination »151.

Cet illustrateur ingénieux utilise effectivement des techniques particulières laissant au lecteur un large espace à l'imaginaire. Car son trait spontané est proche de l'esquisse ou du croquis. Pour Blake, rien ne sert de montrer avec précision les personnages, car l'exactitude relève de la photographie et non du dessin. Philippe Dumas, illustrateur et ami de Quentin Blake, fait toute la lumière sur sa propension pour le croquis :

Dans ses dessins, trois choses sautent aux yeux : la rapidité, la justesse des expressions et l'appétit de croquer. Aujourd'hui Quentin Blake n'a pas changé, il a conservé ce même appétit communicatif. « Ce n'est pas la nourriture qui compte, c'est l'appétit », dit Ramuz.152

C'est donc ce trait, sans aucun doute inimitable rapide et spontané, deux ou trois coups de crayon, qui permettent à ses personnages de prendre vie. De même, quelques coups de crayon suffiront à saisir la plus abominable grimace. Par ce trait unique et irrésistible transparaît tout l'humour british de cet illustrateur refusant toute mignardise. Henriette Zoughebi parle de l'humour contagieux de Quentin Blake :

Face au « pessimisme » ambiant, au monde souvent cruel dans lequel les enfants vivent – monde qui transparaît dans les livres de jeunesse -, Quentin Blake prend le parti de l'humour... et quel humour ! Corrosif à souhait, si vivant et si expressif. Toujours au côté des plus petits et des plus faibles... Là est la force de Quentin Blake. Là aussi l'émotion que nous éprouvons. Rien n'est nié dans son oeuvre – ni les difficultés ni les embûches -, mais tout se mue dans une dynamique réparatrice, pour insuffler l'énergie de croire à un monde plus juste où chacun a sa place !153

Le théâtre comique de Quentin Blake se découvre effectivement à chaque illustration. Nous allons en étudier les scènes les plus irrésistibles.

Matilda, p.
Illustration. 11: La farce

Dans Matilda, Mlle Legourdin donne le cours le jeudi dans la classe de la petite fille. Avant la classe, Anémone, influencée par les exploits de Hortense, dépose un triton dans la carafe d'eau réservée à la directrice. Dans illustration 12, nous constatons l'exagération de la taille non seulement du pichet mais aussi du triton qui semblent presque aussi grand que la petite fille. L'illustrateur semble vouloir nous montrer l'immensité de la plaisanterie qu'Anémone va jouer à Mlle Legourdin.

Matilda p.
Illustration 12: Le triton

Ce vilain tour va d'ailleurs bien fonctionner puisque sur l'illustration 13, nous apercevons Mlle Legourdin tétanisée par le triton qui vient d'être renversé sur sa poitrine. Celui-ci est vraiment petit à comparer de l'image précédente, pourtant l'effet n'en est que plus grand sur un personnage de la taille de Mlle Legourdin. La directrice, qui n'a apparemment peur de rien et semble invulnérable, est dépeinte par Blake de façon très caricaturale : ses énormes mains projetées en arrière pour éviter tout contact avec ce qu'elle perçoit comme un monstre, ses lèvres fermées et en dents de scie qui expriment mieux que toute autre chose la peur, et ses yeux épouvantés qui semblent ne pas croire ce qu'ils voient. D'ailleurs le triton aussi est bien perdu, il regarde en direction du lecteur, surpris non seulement de se trouver dans un environnement si peu familier, mais aussi de provoquer tant de frayeur. L'illustrateur nous pose alors cette question : qui des deux doit être le plus surpris : un triton sur une femme aux dimensions incroyables, ou une directrice face à un si petit animal ? Sa posture assise la rend alors bien plus vénérable qu'à l'accoutumée. En effet, dans les illustrations des pages précédentes, l'illustrateur a choisi de représenter Mlle Legourdin toujours debout, ce qui la rendait à la fois imposante et effrayante.

Matilda p.
Illustration 13: colère et béatitude

L'illustration 14 confirme d'ailleurs cet effet. Mlle Legourdin est debout et occupe tout une page. Malgré le fait qu'elle se trouve dans une posture agressive, elle ne fait pas peur, elle est même assez comique. Quentin Blake joue ici sur les contrastes entre la colère de cette femme et la béatitude de Julien à qui a fait une orgie de nourriture. La colère excessive est toujours tournée en dérision lorsqu'elle n'est pas accompagnée d'un danger imminent, et la colère de Melle Legourdin n'échappe pas à la règle. Ainsi, Julien Apolon semble dans cette image invulnérable et tout à fait indifférent à la menace qui pèse sur lui. Le contraste est aussi mis en place par la pliure du livre qui sépare les personnages, et nous annonce que Julien est de toute façon intouchable. Mlle Legourdin peut bien le frapper, elle ne lui fera aucun mal. Une situation d'attente est alors mise en place et on se demande quand Mlle Legourdin va le frapper et si elle le fera finalement. Blake choisit de montrer « le geste anticipé » plutôt que le résultat final comme le fait Roald Dahl.

Le Bon gros géant P.
Illustration 14: La petite Sophie

2.2. dans le BGG, les grimaces.

Dans le Bon Gros Géant, c'est de l'héroïne que naît l'humour puisque Sophie est désignée dans les illustrations comme un aliment. Dans le texte, Roald Dahl nous rassure assez vite sur sa situation alors que Quentin Blake choisit de faire durer le suspense. Dans la scène Sophie de l'illustration 15 est déposée sur la table, à genoux comme suppliant le géant de ne pas la manger. Celui-ci est disposé dans une posture révélatrice de la réflexion intense d'une personne : une main qui soutient son menton, et l'autre posée sur la hanche, le regard fixe et la tête légèrement penchée vers le sol. La vue en contre-plongée accentue l'importance de la taille de la table par rapport au reste de l'image, table sur laquelle nous ressentons bien que Sophie risque d'être mangée par un géant sans scrupules. D'ailleurs, dans le texte le BGG154 est assis sur une chaise et se retrouve ainsi à même hauteur que Sophie, Quentin Blake préfère laisser une atmosphère plus ambiguë avec un géant en pleine réflexion, contemplant Sophie de toute sa hauteur. Les bocaux apparemment vides dans le fond de la pièce pourraient pour Sophie représenter ce qu'il adviendra d'elle, à savoir une conserve parmi tant d'autres. Elle ne sait pas encore que ces bocaux ne contiennent en réalité que des rêves.

Le bon gros géant p.
Illustration 15: Les effets du snockombre

Mais Roald Dahl en a décidé autrement, Sophie ne sera pas avalée par le BGG, réfractaire à l'idée de manger des hommes de terre. Elle est cependant confrontée à un danger bien plus grave : être dans la bouche du « Buveur de sang ». Dans l'illustration 16, plutôt que de nous montrer la situation délicate dans laquelle se trouve Sophie, l'illustrateur préfère en rire et dessine Sophie volant au milieu de morceaux de schnokombres nauséabonds et répugnants. La grimace du géant est également très intéressante par son côté toujours si caricatural. Le personnage ressemble bien à la brève description que nous en offre Roald Dahl :

Il avait les cheveux longs, noirs et broussailleux. Son visage répugnant était tout rond et flasque ; ses yeux semblaient deux minuscules trous noirs ; son nez était court et plat mais sa bouche était énorme. Elle barrait son visage d'une oreille à l'autre et ses lèvres ressemblaient à deux gigantesques saucisses rougeâtres posées l'une sur l'autre. Des dents jeunes et tranchantes dépassaient d'entre les lèvres de saucisses rouges et des flots de bave lui coulaient sur le menton.155

Le bon gros géant p.
Illustration 16: Les effets du schnockombre

Nous retrouvons une caricature identique chez le BGG à un moment identique : lorsqu'il mange un schnockombre devant Sophie avant de lui en proposer un morceau. Si les effets de la frambouille sont très visibles, celui des schnokombres l'est tout autant. Les personnages ne peuvent s'empêcher de recracher de façon très marquée les morceaux qu'ils viennent de croquer. Quentin Blake souhaite ainsi à plusieurs reprises, à travers ce comique de répétition, montrer à quel point les effets d'une nourriture peuvent être désagréables.

2.3. Dans Charlie et la Chocolaterie

Charlie et la chocolaterie, col p.
Illustration 17: Le ressort

Lorsque Quentin Blake illustre la scène où Grand-papa Joe apprend que son petit fils a trouvé un ticket d'or, il va y mettre toute son énergie (cf. illustration 11). Ainsi, Grand-papa Joe devient un véritable ressort qui subit mille mouvements. On le voit jaillir du lit, les bras levés et même son bonnet de nuit s'agite au-dessus de sa tête. Son pyjama montre aussi cet effet de ressort avec les très nombreuses ondulations marquant le mouvement. On a ainsi l'impression que Grand-papa Joe vole dans les airs prenant certainement son envol pour une nouvelle vie. Ses bras écartés sont alors semblables à des ailes. D'ailleurs, Charlie et son grand-père semblent former un couple. Ils se regardent mutuellement sans voir un autre aspect de la scène très humoristique : le bol de soupe que Grand-maman Joséphine va recevoir sur la tête. Ici la couleur prend un aspect comique puisqu'un liquide verdâtre s'échappant du bol se dirige directement vers sa tête. Le lecteur sait qu'une seconde plus tard Grand-maman Josephine sera verte de soupe. Son visage est exagérément expressif, car elle a les yeux exorbités de surprise et les lèvres tremblantes. La vieille femme apparaît toute ratatinée, ce qui bien entendu met en évidence le déploiement de Grand-papa Joe. Quentin Blake anticipe donc cette action et comme souvent nous laisse l'imaginer, ce qui n'enlève rien au côté drôle de la scène.







Charlie et la chocolaterie p.
Illustration 18: Violette se transforme

Ce comique de répétition et cette exagération dans le nombre de morceaux rejetés par les géants est aussi source d'humour dans Charlie. Nous la retrouvons tout particulièrement dans l'épisode où Violette se transforme en une myrtille géante. Quentin Blake nous offre alors deux illustrations de la jeune fille, l'une pendant sa transformation et l'autre alors que les Oompas-Loompas la roulent jusqu'à la salle des jus de fruits pour la presser de son jus. Dans la première illustration ci-contre, seul le personnage de Violette est représenté et tient tout l'espace disponible. Celle-ci est sur la pointe des pieds, prête à s'envoler semble-t-il, malgré son volume considérable. Toute boursouflée et prête à exploser, c'est une myrtille, bien peu appétissante qui nous est présentée. Le personnage tout au long de l'histoire est représenté les lèvres en mouvement puisqu'elle mâche son chewing-gum à longueur de temps. Ici les traits ondulants sont beaucoup plus longs qu'à l'accoutumée et plus marqués. Ils n'ont d'ailleurs pas le même sens : Violette a peur de ce qui lui arrive et ne comprend pas ce qui est en train de se passer. Mais le rire dépasse la peur puisque Willy Wonka s'empresse de rassurer ses invités : « ils s'en tirent toujours »[109].

Charlie et la chocolaterie collection p.
Illustration 19: Myrtille violette

La seconde illustration de Violette Beauregard fait perdre toute humanité à la fillette. Celle-ci n'est plus considérée comme un être humain, mais comme une grosse myrtille, objet que dix Oompas-Loompas roulent sans aucun soin. Blake connaît tout comme le lecteur le soin que le chocolatier et ses partenaires apportent aux aliments : écureuils sélectionneurs pour les noix, émois de Willy Wonka à l'idée qu'Augustus puisse lui gâcher sa nougatine… On remarque dans l'illustration 19 que ce soin n'est pas accordé à la fillette : sa valeur n'équivaut même à celle accordée aux aliments utilisés dans la chocolaterie. Ce manque d'attention est clairement rendu visible par le fait que Violette se retrouve la tête en bas, presque écrasée sous son corps entouré de petits hommes qui dansent et chantent autour d'elle sans le moindre état d'âme.

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Le merveilleux et l'imaginaire /index.php/2006/12/11/10-le-merveilleux-et-l-imaginaire 2006-12-11T22:15:11+01:00 fr Camille Crozier Troisième partie NOTE : N'ayant pas encore eu l'autorisation de publier les images de Quentin Blake en ligne je remplace ici les images par leur référence dans les livres français, lorsque l'édition n'est pas précisée il s'agit de Gallmiard collection Folio Julior.Je m'excuse pour ce désagrément mais...

NOTE : N'ayant pas encore eu l'autorisation de publier les images de Quentin Blake en ligne je remplace ici les images par leur référence dans les livres français, lorsque l'édition n'est pas précisée il s'agit de Gallmiard collection Folio Julior.
Je m'excuse pour ce désagrément mais je ne saurais que trop vous inciter à vous procurer ces livres.

Roald Dahl utilise la nourriture afin de plonger le lecteur dans le monde du merveilleux. Nourriture et gourmandise merveilleuse sont donc tout naturellement mises en images par Quentin Blake. Ces éléments essentiels de l'oeuvre de Roald Dahl vont pleinement être soulignés par les techniques de dessin particulières de l'illustrateur. Ce dernier est un fervent défenseur du trait et possède comme outil, la plume qui est plus ou moins large selon l'effet et la signification qu'il veut transmettre dans son dessin. De plus, même si les traits à l'encre sont rehaussés de grandes touches d'aquarelle, celles-ci sont très légère et elles semblent être purement esthétiques. Dans La vie d'une page, Quentin Blake explique à ce propos :

La couleur ne doit surtout pas épouser les contours du tracé. En revanche, la légèreté et la fluidité de l'aquarelle confèrent un charme nouveau au dessin. La touche discrète du pinceau ne compromet pas la dynamique d'un mouvement éphémère, même si elle l'enrichit d'un élément agréable à l'oeil.146

Les dires de Quentin Blake semblent réducteurs vis-à-vis de la couleur puisqu'il est évident qu'elle joue un rôle dans la signification des images. Son aquarelle ajoute et renforce le caractère merveilleux du dessin147. L'aquarelle n'est pas précise, elle n' « épouse pas les contours du tracé ». Elle évite ainsi de représenter les scènes de façon trop réalistes. D'ailleurs, les couleurs ne sont pas en accord avec la réalité. Quentin Blake s'évertue à aller au-delà des « préjugés chromatiques » et à montrer par la couleur une symbolique bien plus profonde et significative.

Le trait et la couleur des illustrations de Quentin Balke renforcent ainsi le merveilleux alimentaire que nous trouvions déjà dans le texte de Roald Dahl. Ces dessins ne sont pas alors de pâles et simples copies du texte. Le message visuel a plutôt tendance à augmenter la complexité et la richesse de celui-ci. D'ailleurs, Quentin Blake ajoute une nouvelle dimension à la nourriture : le mouvement et le dynamisme.



1.1. Nourritures en mouvement

Charlie et la chocolaterie, collection p.

Illustration 1: La salle au chocolat

L'image de la cascade de chocolat (cf. illustration 1) représente de façon évidente le mouvement. Elle occupe l'ensemble de la page de droite à savoir la pleine page qui montre par là son importance puisque celle-ci se découvre en priorité au lecteur, lors de la tourne de page. De plus, cette mise en page n'est pas fréquente, moins d'une illustration sur dix connaît effectivement ce privilège (cinq sur cinquante-sept dans Charlie et la chocolaterie). Au premier plan se trouve Willy Wonka tenant une canne de la main droite qui invite notre regard à découvrir l'ensemble de la salle. Cette canne ressemble à une baguette magique faisant apparaître les merveilles de l'usine Wonka. De plus, Blake marque le mouvement en mettant son personnage sur un pied, comme s'il était en train de danser ou de sautiller. Ce semblant de « chorégraphie » renforce ainsi le dynamisme de Willy Wonka qu'on trouvait déjà dans le texte. Nous apercevons sur l'extrême gauche également les têtes curieuses et abasourdies de Charlie, Grandpapa Joe, M. Salt et Véruca qui à l'inverse de Willy Wonka sont immobiles. Cette immobilité est causée bien entendu par le spectacle qui s'offre à leurs yeux. À l'arrière-plan, deux cascades se jettent dans une rivière de chocolat. Le mouvement ou plutôt le bouillonnement de la cascade est marqué de deux façons par l'illustrateur. Sur la première cascade, il a accentué le trait afin de souligner son débit impressionnant. À la fin de la seconde cascade, c'est par de petits traits qu'il insiste sur la projection de chocolat en tous sens. Enfin, c'est par des traits amples et fins que Quentin Blake montre une rivière de chocolat plus calme comme pour inviter le lecteur à s'y reposer. On remarque qu'une différence flagrante apparaît par rapport au texte puisque ce dernier ne parle que d'une seule cascade. Cette exagération permet de souligner le caractère merveilleux de la salle au chocolat. Tout autour de la rivière, un paysage idyllique se devine où la flore est luxuriante. Blake fait entrer des plages blanches importantes sur son image. Ceci permet au lecteur de continuer à imaginer cette salle qui ne peut alors devenir qu'un immense territoire sans fin ni limite. D'ailleurs, les personnages entrent dans celle-ci par une porte, mais n'en sortiront qu'en bateau. Blake nous transmet bien cette sensation d'immensité propre à l'imagination.

Matilda p.
Illustration 2: La surprise

Matilda p.
Illustration 3: L'enfant volant


Nous retrouvons un procédé identique de mise en mouvement dans Matilda (cf. illustration 2). Lorsque Madame Verdebois voit les cheveux décolorés de son mari, elle lâche son assiette pleine de nourriture. Le personnage a les bras tendus, les yeux exorbités. On voit une assiette tomber par terre. Cependant, la nourriture que contenait l'assiette ne respecte pas les lois de la gravité puisque les aliments sont projetés vers le haut. Le merveilleux de cette explosion d'aliments dans les airs est renforcé par les quantités pléthoriques de nourritures contenues dans une si petite assiette. La nourriture devient un personnage à part entière qui suit la description de Roald Dahl : « Tout le monde sauta en l'air, y compris M. Verdebois »[64]. Blake nous dit alors « y compris la nourriture ». On n'ose imaginer ce à quoi doit ressembler M. Verdebois, hors champ sur cette image. Cet effet est renforcé par l'expression de Mme Verdebois.

Mlle Legourdin est également à l'origine du mouvement de la nourriture. Un jeune élève de l'école Lamy-Noir est surpris en train de manger des réglisses en classe par Mlle Legourdin qui comme un javelot jette le petit garçon par la fenêtre. Cette image (Cf. illustration 3) représente son envol de la fenêtre de l'étude. À l'intérieur de l'école, rien n'apparaît, même pas celle qui est l'auteur de ce lancé, laissant ainsi l'imagination travailler à son aise. Cela est bien sûr prémédité de la part de l'illustrateur, car cette image reflète alors plus encore qu'une simple punition, elle relève d'une dimension fantastique par son caractère surréaliste. Quentin Blake explique quelle a voulu être sa portée en tant qu'illustrateur : « C'était très amusant de le montrer voltigeant à travers les airs dans un éparpillement de sucreries accompagnant sa trajectoire. Ce n'était pas un élément important dans la progression du récit, mais un moment particulièrement propre à l'illustration, et renforçant la mythologie de l'histoire »148. Il est évident ici que l'image ne fait pas que doubler le texte qui d'ailleurs ne mentionnait pas les bonbons volants. L'image apporte beaucoup plus de significations et ouvre sur un autre niveau de lecture qui est celui du mythe. En effet, l'illustrateur ne doit pas copier le texte. Il doit en déchiffrer les signes, les images emblématiques, trouver les images capables d'être douées de vie.

Le Bon Gros Géant, p.
Illustration 4: Une boisson euphorisante

Les effets de la frambouille sont tout à fait en accord avec le merveilleux de Roald Dahl puisqu'une nouvelle fois le mouvement est primordial. Dahl nous le dit : cette boisson permet à chacun de s'évader et de ne plus sentir ses tracas. Dans cette illustration 4 nous voyons le BGG tenant la bouteille de frambouille dans sa main droite. Le géant n'est dessiné que des pieds jusqu'aux épaules et nous ne voyons pas sa tête. Blake a effectivement choisi de faire un cadrage tout à fait particulier qui indique effectivement que notre bon géant est au septième ciel. En quelque sort, il est la tête dans les nuages ou pris en train de rêver, ce qui n'est pas étonnant avec tous ses bocaux pleins de « bouille de gnome dorée»[94] qui l'entourent. Le regard de Sophie et le grand sourire qu'elle arbore apportent aussi leur contribution au rêve que Blake souhaite ici nous décrire.

Dans James et la grosse pêche, c'est le gros fruit doré qui est au centre du mouvement. En effet, comme on le voit sur l'illustration 5, la pêche prend littéralement son envol. Encore une fois on retrouve un aliment dans les airs. Cet envol montre ici sa légèreté malgré son volume impressionnant. Il est aussi celui de James et de ses compagnons. La hauteur de la falaise symbolise dans cette image l'ampleur du changement que James va connaître au cours de son aventure. C'est James pour ainsi dire qui vole de ses propres ailes maintenant que ses tantes ne sont plus à travers son chemin. Après avoir écrasé cet obstacle, son imagination est enfin libre et une pêche peut donc bien commencer à voler.

James et la grosse pêche, collection p.
Illustration 5: La pêche s'envole

Notons par ailleurs que petit à petit la pêche aura de moins en moins sa place dans l'image. C'est le personnage de James qui prendra la place de la pêche. Nous n'avons malheureusement pas le temps nécessaire pour décrire plus longuement cette évolution. Toutefois, il est évident que la pêche est le déclencheur de l'aventure et de l'émancipation de James. Cependant, au fur et à mesure que James prend confiance en lui, la pêche prend de moins en moins d'importance puis disparaît jusqu'à être disparaître totalement dans le ventre des enfants de New York149 à la fin de l'aventure.

1.2. Nourritures surdimensionnées

La pêche elle-même est aussi créatrice de mouvement. En effet, Tante Piquette et Tante Éponge, extrêmement paresseuses, sont toujours représentées très immobiles. Elles sont assises sur des chaises longues alors que James coupe du bois[14], puis stoïques tout d'abord devant la pêche[26], mais aussi devant la mort quand la pêche va leur rouler dessus[59]. L'illustration 6 présente la pêche en pleine croissance. Tante Piquette

James et la grosse pêche p.
Illustration 6: La danse sous la pêche

et Tante Éponge se trouvent juste en dessous. Cette position dangereuse agit comme une prolepse annonçant déjà leur disparition. Grâce à la pêche, les deux femmes s'agitent et entament à la manière des Indiens non pas une danse de la pluie, mais bien une danse de joie quant à l'avenir prometteur que semble leur offrir cette pêche géante. Blake montre dans leurs yeux globuleux et obnubilés la vénération et l'envie qui naissent de ce fruit fascinant et merveilleux. Les bras fins, amples et tendus vers le ciel de Tante Piquette, montrent d'autant plus le mouvement qui agite les deux femmes.

Matilda p.
Illustration 7: le gâteau

Pour renforcer le merveilleux du texte, l'illustrateur réalise aussi une exagération de la taille des aliments ou des êtres vivants. On peut le constater dans l'illustration 6 où, comme le dirait Roald Dahl, les deux femmes ont l'air de lilliputiennes comparées à la pêche magique. Dans l'illustration 7, le petit Julien Apolon au premier plan se trouve devant un gâteau surdimensionné. Alors que celui-ci avait volé une part de gâteau à Mlle Legourdin, cette dernière lui inflige comme punition de manger un gâteau aussi voire plus gros que lui. Cette image nous montre le petit garçon mangeant une part de gâteau plus grosse que sa tête et devant lui un gâteau tout aussi impressionnant. Cet effet est d'autant plus accentué par une vue en plongée qui devrait avoir tendance à rapetisser les éléments et qui ne semblent avoir ici cet effet que sur l'enfant, laissant au gâteau sa taille imposante. Cet angle de vue a aussi pour effet de nous montrer la scène telle qu'elle serait décrite à travers les yeux de Mlle Legourdin. Un autre élément apparaît bien présent et semble être dû à la vision de Mlle Legourdin : un couteau très agressif non seulement surdimentionné mais surtout très agressif et menaçant. Celui-ci renforce le climat de tension dans lequel cette scène se déroule. D'ailleurs, tous ces indices nous laissent penser plutôt à une immobilité qu'à une évolution. Le temps semble s'être arrêté. Julien semble ne plus bouger et attend que quelque chose se passe. Blake ne nous donne aucun indice de ce duel entre le garçon et la directrice. Il semblerait même, à travers ces différents éléments, qu'il veut indiquer au lecteur que Julien ne peut qu'échouer et il rend donc sa victoire encore plus impossible.



Le BGG p.
Illustration 8: La frambouille

Dans Le Bon Gros Géant, c'est la frambouille qui est soulignée par l'illustrateur. L'image 8 présente le BGG vu de face coupé au niveau des épaules. Étrangement, elle complète l'image 3 montrant le BGG coupé au niveau de la partie supérieure du tronc. Cette boisson merveilleuse semble alors bénéfique non seulement pour la tête mais aussi pour le corps. Le BGG porte haut la bouteille de frambouille. Ce geste qui n'est pas marqué de façon anodine par Quentin Blake montre à quel point cette boisson est vénérée par les géants. Cela est mis en évidence par la grosseur et la grandeur de la bouteille par rapport au visage du BGG dont la taille considérable est précisée par le texte lui-même.

Charlie et la chocolaterie p collection
Illustration 9: La porte de la chocolaterie

L'image suivante est particulièrement représentative non seulement de la surdimension de l'usine, mais aussi d'une porte fermée créatrice d'imaginaire. Elle accentue également la différence entre petits et grands. Notons qu'elle occupe entièrement la page de gauche, accentuant par là sa taille gargantuesque. Nous voyons en premier plan une grande porte, la porte de la chocolaterie Willy Wonka. Toujours au premier plan, mais sur le côté, le jeune Charlie est représenté à la taille d'une fourmi. Il lève les yeux vers la porte, mais celle-ci lui occulte tout de l'usine et il peut seulement imaginer ce qui est dissimulé derrière. Le lecteur lui-même peut à peine deviner qu'il se cache une usine à travers les fentes du haut de la porte. Ce que nous devinons à peine permet à l'illustrateur de signifier ce que Charlie perçoit lui avec le nez. Jamais Quentin Blake ne représentera l'usine de Willy Wonka de l'extérieur que ce soit dans Charlie et la Chocolaterie ou dans Charlie et l'ascenseur de verre. Les deux grosses serrures montrent qu'il s'agit d'un lieu fermé, pas ouvert à tout le monde et donc très mystérieux. Florence Noiville, journaliste au Monde, explique qu'  « il faut être un metteur en scène hors pair pour entraîner ses lecteurs dans ce théâtre loufoque, et pour laisser là, juste aux portes de l'imaginaire, avec l'air de leur dire : « Entrez, c'est délicieux... ». Seul Quentin Blake est capable « d'entr'ouvrir une porte et de laisser à l'enfant le soin de deviner ce qui se cache derrière »150.

1.3. Nourritures mystérieuses

Charlie et la chocolaterie, col page
Illustration 10: Les bonbons carrés ou ronds

Parfois Quentin Blake va même plus loin. Il nous montre l'objet que l'on souhaite voir, mais celui-ci ne correspond pas à la description du texte. C'est le cas lorsque les enfants et leurs parents découvrent les bonbons carrés qui ont l'air d'être ronds (cf. illustration 10). Le lecteur aussi intrigué et interrogatif que les visiteurs de la chocolaterie espère que l'illustrateur l'aidera à comprendre comment cela est possible. Et Blake prend un malin plaisir à dessiner des bonbons carrés... qui ont l'air d'être carrés ! Il faudra faire preuve de beaucoup d'imagination pour les voir ronds. Le lecteur se retrouve aussi incrédule que les personnages du livre. De plus, avec leur regard malicieux et coquin, ces petits bonbons carrés semblent rire aux dépens du lecteur comme s'ils s'amusaient de notre désarroi devant des bonbons carrés qui devraient être ronds. Willy Wonka – qui n'est en réalité qu'un avatar de l'auteur – apparaît comme le magicien manipulant nos esprits pour nous faire croire ce qui n'est en fait qu'une illusion.

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L'« inquiétante étrangeté » d'un monde dévorant /index.php/2006/12/11/9-l-inquietante-etrangete-d-un-monde-devorant 2006-12-11T22:11:11+01:00 fr Camille Crozier Deuxième partie Aller vers un ailleurs ne doit pas à être interprété comme une fuite du présent et de la réalité. Bien au contraire, il s'agit d'une manière de mieux la découvrir pour pouvoir davantage s'y situer par la suite. La découverte de son propre intérieur est intimement liée à la...

Aller vers un ailleurs ne doit pas à être interprété comme une fuite du présent et de la réalité. Bien au contraire, il s'agit d'une manière de mieux la découvrir pour pouvoir davantage s'y situer par la suite. La découverte de son propre intérieur est intimement liée à la découverte de l'extérieur, c'est-à-dire du monde.

Cette période où l'enfant cherche son identité est un tournant dans l'existence de l'être humain. L'enfant découvre le monde et se découvre d'une tout autre façon puisqu'il n'est plus tout à fait un enfant, mais il n'est pas tout à fait un adulte. Inspiré par la maturité, il prend conscience de l'autre face du monde. Le lecteur visé par le corpus étudié se doit de connaître ce monde avec son lot de difficultés, d'injustices, et ses côtés effrayants. Roald Dahl disait d'ailleurs que : « Nous vivons dans un monde cruel. Les enfants doivent lutter pour parvenir à leurs fins »130. Il ne faut pas leur cacher la vérité.

Malgré les nombreux défauts apparents de ce « nouveau monde », Roald Dahl veut faire comprendre qu'il faut quoi qu'il en soit s'y intégrer pour ne pas sombrer. L'enfant le comprend parfaitement, il est d'ailleurs habité par la peur, inspiré par ce monde différent de celui qu'on lui présentait dans le cocon familial.

On comprend alors que les contes de Roald Dahl sont loin d'être purement des histoires simples ou à l'eau de rose. Car le monde et l'enfance sont bien plus complexes qu'il n'y paraît. L'auteur doit donc, comme le préconise Jacqueline Held, « développer l'imaginaire de l'enfant non dans une perspective passéiste de rêve-évasion, mais en abordant les problèmes que pose et posera l'univers de demain »131.

Le monde dans lequel entre l'enfant n'est pas aussi manichéen qu'on pourrait le penser. Il est loin d'être aussi rassurant que semblent le faire croire les adultes qui essayent coûte que coûte, mais sans y parvenir, de dissimuler aux enfants cette triste réalité. Roald Dahl montre du doigt les comportements des adultes. Il laisse apparaître leur côté condamnable et par là prouve aux enfants que l'adulte est loin d'être parfait et que lui aussi peut être meilleur. Mais refusant le pessimisme, Roald Dahl apprend à l'enfant à prendre de la distance avec le monde, grâce à l'humour.

3.1. Un monde dévorant

Si les auteurs de littérature de jeunesse sont souvent critiqués pour ne présenter dans leurs récits qu'un monde édulcoré, Roald Dahl semble vouloir enseigner à son lectorat que le monde n'est pas si manichéen.

3.1.1. Une situation initiale accablante

Le monde environnant est très inquiétant et angoissant pour les héros. Subissant la faim, le froid, les sévices corporels, la solitude, la situation initiale pour les quatre enfants est effectivement loin d'être facile et heureuse. La structure de ce type de récit est généralement constante. Les quelques chapitres d'introduction nous présentent des personnages ternes, tourmentés ou tout au moins mal intégrés ou souffrant de complexes. Le narrateur choisit de représenter le tourment du héros à ce moment-là, diminué par une atmosphère inquiétante dont il n'arrive pas à prendre le dessus. Cette atmosphère est à l'image de son être intérieur, son état d'esprit à ce moment précis.

Ainsi, la situation difficile que connaissent les quatre héros de notre corpus au début de chaque livre est significative. James et Charlie connaissent tous deux la faim. Jacqueline Held explique que la peur d'avoir faim est une des premières angoisses de l'enfant :

Importance de la gourmandise, les préoccupations de l'enfant se concentrent sur la nourriture qui vient toujours en premier : nourriture, boisson, vêtement, maison... Bref , le gîte et le couvert, la sécurité assurée. L'enfant a besoin de stabilité et de protection.132

Le sentiment d'insécurité est souligné pour James par les sévices effrayants perpétrés par ses tantes et qu'il subit à longueur de journée. Pour Charlie, ce sentiment est souligné par une maison pleine de courant d'air et par le froid qui y règne. Le narrateur met en évidence cette situation en opposant les adjectifs « petit » et « grand » :

Toute cette gentille famille – les six grandes personnes [...] et le petit Charlie Bucket – vivait réunie dans une petite maison de bois, en bordure d'une grande ville. La maison était trop petite (...)[13]

Matilda, quant à elle, est livrée à elle-même, elle ne possède aucune protection, car ses parents ne lui manifestent aucun intérêt, la considérant « à peu près comme une croûte sur une plaie »[13]. Même la souffrance de leur fille les laisserait indifférents selon le narrateur puisqu'il dit : « fût-elle rentrée à la maison en se traînant avec la jambe cassée qu'ils ne s'en seraient pas aperçus »[14]. C'est à partir de là que leur indifférence devient vraiment condamnable et surtout effrayante.

Sophie vit dans un orphelinat et l'incipit du livre nous montre un endroit sinistre. Il transparaît de cette première scène un sentiment oppressant qui dérange profondément le lecteur. Celui-ci pressent que quelque chose de terrible va se passer. C'est à « l'heure des ombres » où tout le monde est sensé dormir que Sophie, irrésistiblement attirée par la lune, décide de se lever. Cette dernière est très inquiétante et menaçante, puisqu'elle projette sur l'oreiller de Sophie « une lueur oblique » et qu'« un rayon de lune tranchait d'obscurité comme une lame d'argent et tombait droit sur son visage »[15]. La comparaison révèle que la vie de Sophie est vraisemblablement en péril.

3.1.2. Des personnages inquiétants

Les personnages de ces histoires sont également peu rassurants. Notons que même si l'on retrouve des personnages foncièrement du côté du mal tels que les ogres ou les sorcières, bien d'autres personnages dans l'univers de Roald Dahl sont inquiétants par leur ambiguïté. Dès son plus jeune âge, Roald Dahl décrit les personnes comme étranges surtout lorsqu'elles ont un rapport avec la nourriture. Il explique cela à propos de la propriétaire de la confiserie du village où il vivait :

La confiserie de Llandaff en l'année 1923 était le centre même de notre existence.[...]Mais elle présentait un terrible désagrément, cette confiserie : la propriétaire était une horrible créature, nous la détestions et notre haine était parfaitement justifiée.133

Parce que Roald Dahl et ses copains lui firent une farce, cette femme les dénonça au directeur de leur école qui les punit sévèrement en les frappant avec une canne. Tous les sévices qu'il a subis lorsqu'il était écolier l'ont sans aucun doute inspiré pour créer Mlle Legourdin, la directrice de l'école de Matilda. Mlle Legourdin est un personnage fondamentalement mauvais. Le narrateur ne veut pas excuser sa méchanceté par la folie. En effet, Matilda dit : « Elle n'est pas folle [...], mais elle est très dangereuse. Être élève ici, c'est comme d'être enfermée dans une cage avec un cobra. Il faut avoir de bons réflexes »[119]. Mlle Legourdin n'est pas folle et donc tous les punitions horribles qu'elle inflige à ses élèves sont tout à fait conscientes et raisonnées. Dans James et la grosse pêche, Tante Piquette et Tante Éponge sont de véritables sorcières malfaisantes. Dès le début du roman, le narrateur les qualifie de « méchantes et égoïstes et paresseuses et cruelles »[10]. James et ses compagnons vont se faire agresser par d'autres créatures inquiétantes comme les requins et les nuageois. Ces derniers sont des « monstres effroyables » [120] qui font littéralement la pluie et le beau temps sur terre. Les voyageurs de la grosse pêche se font attaquer plusieurs fois par ces géants cylindriques. Dans le Bon Gros Géant, la menace vient des autres géants qui dévorent les « hommes de terre » sans pitié.

À côté de personnages fondamentalement mauvais, on trouve d'autres créatures beaucoup plus ambiguës. Même les compagnons de James ne sont pas très rassurants. Et c'est d'abord avec « le visage blême de terreur »[41] qu'il fait la rencontre des insectes géants qui lui offrent « un spectacle absolument sinistre »[44]. Les Oompas-Loompas sont eux aussi de bien étranges personnages. Willy Wonka prévient ses invités qu'« ils sont un peu polissons » et qu'« ils aiment faire des blagues »[97]. Rapidement, on se rend compte que ces pygmées s'amusent et rient du malheur des enfants punis, ce qui peut être condamnable. Le personnage de Willy Wooka lui-même est très mystérieux. Il semble avoir orchestré tous les événements qui se produisent dans l'usine ainsi que tous les châtiments donnés aux enfants non méritants. Grandpapa Joe fait remarquer que toute son usine a quelque chose d'inquiétant. En effet, il dit à Charlie : « Serre bien ma main, Charlie. Ce ne doit pas être drôle de se perdre ici »[136]. La version originale rend mieux compte du sentiment d'insécurité qu'inspire l'usine : « It would be terrible to get lost in here ». De même, Sophie ne se sent pas vraiment rassurée lorsqu'elle est enlevée par le BGG car elle ne sait pas encore qu'il s'agit du « seul gentil géant tout confus au pays des géants »[37].

3.1.3 La peur de l'ogre

Cette peur inspirée par la plupart des personnages de Roald Dahl s'explique dans le fait que l'enfant a peur de se faire dévorer par le monde. En effet, parce qu'il se croit faible, en tout cas trop faible pour affronter les difficultés du monde des adultes, il a peur de s'y faire engloutir, et de disparaître. Les psychanalystes nomment généralement cette peur, la peur de l'ogre.

Ce sentiment d'engloutissement se retrouve dans Charlie et la chocolaterie, Le BGG et James et la grosse pêche, mais pas dans Matilda. En effet, le lectorat de ce livre est censé avoir dépassé le stade de cette peur.

On retrouve cette peur d'être dévoré dans de nombreux contes. Paul Caron, chercheur au C.N.R.S., explique la réaction des enfants face à des monstres à la dentition proéminente :

Il s'agit de leur dentition proéminente, agressive, construite pour dévorer. Ces dents renvoient aux pulsions d'oralité sadique, aux couples dévoré/dévorant, bourreau/victime, à toute une abjection malsaine et angoissante, à la fois repoussante et attirante, et capable d'attiser le fantasme tant ces images suggèrent la pénétration violente de l'autre. On sait que les enfants ont peur d'être mangés par ce qui a de « grandes dents » (le Loup ?), s'ils commettent quelque faute. Cette peur est l'envers du plaisir de la transgression.134

Ainsi, la transgression semble immédiatement accompagnée d'une peur incontrôlable. Sophie est directement confrontée à la peur d'être dévorée expliquant qu'« une pensée terrifiante » traversa son esprit : « C'est la faim qui le fait courir si vite, se dit-elle, il a hâte de rentrer chez lui pour me dévorer en guise de petit déjeuner »[25]; plus loin elle pense : « Il s'apprête à me manger, [...]il va probablement me dévorer toute crue. Ou peut-être me fera-t-il bouillir. Ou frire. Il va me jeter comme une tranche de lard dans un gigantesque poêle pleine de beurre grésillant »[29-30]. À la vue de ses dents, Sophie supplie le géant de ne pas la manger. Pourtant, la description de ses dents est éloignée de celle d'un véritable ogre :

Puis il se mit à sourire, en découvrant d'immenses dents carrées. Elles étaient très carrées et très blanches et semblaient plantées dans la mâchoire comme d'énormes tranches de pain de mie.[31]

Ses dents carrées ne ressemblent aucunement à celles décrite pas Paul Caro, à savoir « une dentition proéminente, agressive, construite pour dévorer ». En revanche, la bouche du Buveur de Sang correspond parfaitement à cette description :

(...)sa bouche était énorme. Elle barrait son visage d'une oreille à l'autre et ses lèvres ressemblaient à deux gigantesques saucisses rougeâtres posées l'une sur l'autre. Des dents jaunes et tranchantes dépassaient d'entre ses deux lèvres de saucisses rouges et des flots de bave lui coulaient sur le menton. On n'avait aucun mal à croire que cette épouvantable brute se nourrissait, chaque nuit, d'hommes, de femmes et d'enfants.[66-67]

On comprend très vite la différence qu'il existe entre le BGG et ses congénères. D'ailleurs, le narrateur par ces deux descriptions le souligne très clairement.

James lui aussi est effrayé en voyant les énormes insectes lorsqu'il pénètre dans le noyau de la pêche. Il a peur d'être dévoré par eux. Il prend leur regard insistant pour un regard plein d'envie : « James vit quatre paires de gros yeux noirs et vitreux braqués sur lui »[44]. Pour comble, l'araignée en fixant James dit : « J'ai faim ». Les autres insectes semblent avoir la même envie. Le petit garçon ne peut que croire qu'il va finir dans les assiettes de ces étranges insectes. Bien sûr, on apprend bientôt que ce n'est qu'un quiproquo et que ces insectes géants vont devenir les compagnons de voyage de James.

La peur de l'ogre est représentée tout à fait différemment dans Charlie et la chocolaterie, mais elle reste présente. On pourrait ainsi aisément considérer la chocolaterie elle-même comme la métaphore de l'ogre. En effet, à plusieurs reprises les enfants sont absorbés et engloutis par l'usine. Mike Teavee est absorbé par la télévision de l'usine. Véruca Salt tombe dans le vide-ordures symbolisant sans aucun doute l'« estomac de l'usine », plein de divers déchets provenant de l'ingestion d'aliments. Quant à Augustus Gloop, il est aspiré par un tuyau comparable à la bouche qui engloutit, mais aussi à l'intestin qui digère.

3.2. Les dents longues et creuses de la société

Toute écriture pourtant naît du désir, de l'insatisfaction et du refus de ce qui est établi voire de l'« establishment » : l'écriture est contestation. Elle n'est donc pas momentanée ou liée à un plaisir brut, mais elle se veut plutôt à l'origine d'ambitions plus hautes, l'investigatrice de passions plus nobles et plus durables. Il en va de même pour Roald Dahl. Quoiqu'écrivain pour la jeunesse, il veut transmettre ou plutôt permettre aux enfants d'ouvrir les yeux sur le monde. Il veut leur montrer que le monde n'est pas tel que certains romans vraisemblablement édulcorés, veulent leur faire croire. D'ailleurs, Mark West après de nombreux entretiens avec Roald Dahl conclut : « Dans la plupart des histoires de Dahl - que ce soit destiné pour les enfants ou pour les adultes – les figures autoritaires, les institutions sociales et les normes de la société sont ridiculisées ou au moins infirmées »135 . Entre autres choses, il dénonce une société de consommation qui dès les années soixante a pris beaucoup trop d'ampleur. De cette société-là, il fait une satire alimentaire.

3.2.1. La dénaturation de l'aliment

Nous l'avons compris tout au long de cette analyse, la gourmandise dans ces quatre oeuvres est un élément essentiel de l'histoire. Mais Roald Dahl dénonce également dans ses livres que l'aliment perd progressivement toute sa dimension sacrée. La valeur de l'aliment est effectivement remise en cause par notre société de consommation et de matérialisation.

Le père de Véruca Salt achète des milliers de barres de chocolat seulement pour céder à un caprice de sa fille. Cet achat montre à quel point le chocolat est évincé du plaisir qu'il procure. Il devient un objet qui n'a plus aucune valeur nutritive ni même gourmande. Le fait que Mr. Salt fait ensuite décortiquer ses barres de chocolat par ses ouvrières habituées à décortiquer des cacahuètes contribue aussi à désacraliser la nourriture. En effet, la cacahouète est elle aussi un symbole gourmand, celui d'un partage lors d'un apéritif par exemple. Le monde dans lequel Mr. Salt évolue a oublié cette valeur des aliments. L'aliment n'a plus qu'une valeur économique. Des cacahuètes ou du chocolat, c'est bien la même chose : un objet auquel il faut enlever son enveloppe. On retrouve le même comportement dans James et la grosse pêche avec Tante Piquette. La pêche n'y est plus considérée comme un fruit délicieux, mais comme une possibilité de s'enrichir. C'est James qui lui rendra sa vraie nature en la partageant avec les enfants affamés de New-York.

Dans Matilda, c'est au plateau TV et à la télévision omniprésente que s'attaque Roald Dahl. La famille Verdebois est bien consciente qu'un dîner doit être l'occasion de réunir la famille. En effet, lorsque Matilda veut quitter le repas avant sa fin pour lire, M. Verdebois lui dit que : « Le dîner, c'est une réunion de famille et personne ne sort de table avant qu'on ait fini »[31]. Matilda lui répond alors : « Mais nous ne sommes pas à table [...]. Nous n'y sommes même jamais. Nous mangeons toujours sur nos genoux en regardant la télé »[32]. À travers la nourriture, c'est une satire familiale que réalise Roald Dahl. La nourriture était un lien entre les membres de la famille, ce lien a été dénaturé chez les Verdebois et il n'en subsiste plus que l'intérêt pour la télévision. La « boîte à fadaises » du BGG ou la machine idiote des Oompas-Loompas devient plus importante que la famille. Pour Roald Dahl, il est évident et indiscutable que la télévision empêche l'imagination. Dans l'assiette des Verdebois, le manque de créativité est significatif, car leur plateau-repas est déjà préparé, préemballé et cuit. Ce plateau-repas est en réalité le reflet de leur propre vie, tout aussi cloisonnée et insipide136.

3.2.2. L'égoïsme de la société

À travers la nourriture, Roald Dahl met en évidence l'égoïsme et le discrimination de tout une société. Alors que les personnages issus des catégories sociales les plus aisées se nourrissent abondamment, les autres sont souvent exclus de ces festins pléthoriques.

L'obésité d'Augustus et de Tante Éponge est pointée du doigt. Roald Dahl veut vraisemblablement critiquer notre société de surconsommation. On pourrait faire référence aussi aux camions transportant le chocolat ainsi qu'à la bousculade pour pouvoir se procurer des chocolats Willy Wonka.

Les plus défavorisés sont contraints de vivre en exil. Les descriptions de Roald Dahl insistent sur l'éloignement qui est imposé aux personnages pauvres. Ainsi, Charlie et ses parents vivent dans une petite maison de bois où s'infiltrent les courants d'air, et Mlle Candy habite selon les dires de Matilda dans la « cabane où le bûcheron vivait avec Hansel et Gretel »[182]. La pauvreté et le manque de nourriture font peur aux plus riches.

Il existe néanmoins des exceptions : Matilda ne sera pas effrayée par la pauvreté de son institutrice. Bien au contraire, elle va même jusqu'à préférer le goûter frugal que lui offre celle-ci au délicieux goûté habituel : « Matilda se percha avec précaution sur l'une des caisses et, par politesse plutôt que pour toute autre raison, prit une des tartines de margarine et se mit à la manger. Chez elle, il y aurait eu sans doute sur son pain du beurre et de la confiture de fraises sans compter une tranche de cake pour conclure son goûter. Et pourtant, ce thé si modeste lui donnait bien plus de plaisir. Un mystère entourait cette maison, un grand mystère, cela ne faisait aucun doute, et Matilda rêvait de l'élucider »[187]. Ce mystère, c'est la reconnaissance et le plaisir d'un sentiment de bien-être partagé. Cette scène met notamment en lumière que la valeur des gens devrait aller au-delà de la pauvreté et qu'il en est de même pour un repas.

Un repas pauvre et partagé vaut mieux que des plateaux bien garnis dans une famille désunie. Dans le BGG, Sophie ne se plaindra pas non plus du manque de nourriture de son hôte. L'amitié qui la lie à celui-ci semble compenser le sort dans lequel elle se trouve.

3.2.1. Et quoi d'autre au menu de la satire ?

Roald Dahl s'est attaqué à bien d'autres institutions comme la politique ou l'armée et il s'intéresse également à la condition de la femme.

Les politiciens et leur politique sont très malmenés dans toute l'oeuvre de Roald Dahl. On retrouve quelques moments satiriques et comiques dans James et la grosse pêche. Le président est alors présenté comme un homme qui ne fait que pousser des boutons [138]et se décharge de toute responsabilité quant aux conséquences de ses actes. C'est dans Charlie et l'ascenseur de verre que l'auteur donne du gouvernement américain et de son président une image particulièrement satirique :

 Au milieu de la pièce, le Conseiller Financier essayait en vain de faire tenir le budget en équilibre sur le sommet de sa tête. Et tout près du Président se tenait la Vice-Présidente, une énorme femme de quatre-vingt-neuf ans, avec du poil au menton. [...] Seul le Président avait le droit de l’appeler Nounou [...] « J’y suis arrivé ! s’écria le conseiller financier. Regardez-moi ! J’ai équilibré le budget ! » En effet. Il se tenait au milieu de la pièce, avec l’énorme budget de deux cents billions de dollars splendidement en équilibre sur le sommet de son crâne chauve. Tout le monde applaudit. [36-37]

Dans Le BGG, il y a une réflexion importante sur le comportement de l'homme. Le BGG explique que seul l'homme tue ses congénères et que même les impitoyables ogres ne se mangent pas entre eux. Il démontre le comportement autodestructeur de l'homme en ces termes :

(...) il y a des hommes de terre qui disparaissent tout le temps et partout, même sans que les géants les avalent. Les hommes de terre s'entre-tuent tout le temps beaucoup plus vite que les géants ne les dévorent. [...] Les géants non plus ne se mangent pas entre eux, [...] et en plus, les géants ne se tuent pas les uns les autres. Les géants ne sont pas très agréables à fréquenter, mais ils ne s'entre-tuent pas. De même, les croque-l'Odile ne tuent pas d'autres croque-l'Odile.[...] Même les serpents venimeux ne se tuent pas, s'entre-tuent pas [...]. Je n'arrive pas comprendre les hommes de terre, [...] toi, par exemple, tu fais partie des hommes de terre et tu dis que les géants sont abomineux et monstruables parce qu'ils mangent des gens. [...]Mais les hommes de terre, eux, s'étripaillent sans cesse [...] ils se tirent dessus avec des fusils et ils montent dans des aéroplanes pour lancer des bombes sur la tête des autres. Et ils font ça chaque semaine. Les hommes de terre tuent sans arrêt d'autres hommes de terre.[89-90]

Les ogres semblent même excusables puisqu'ils sont comparés à l'être humain qui tue les petits porcelets. Ils se nourrissent des humains, mais ils ne s'entre-tuent pas comme les humains. Sophie arrive même à se demander si après tout « les hommes étaient vraiment meilleurs que les géants »[90].

Toujours dans Le Bon Gros Géant, les militaires haut placés qui sont chargés de la mission d'attacher les ogres font preuve de bien peu de courage. En effet, ils s'enfuient laissant leurs soldats se débrouiller seuls [210-216]. Peut-être que ces éléments font référence à des moments de sa propre vie car Roald Dahl a effectivement été soldat dans l'armée de l'air.

Un dernier trait est critiqué par Roald Dahl : la condition de la femme avec Matilda et Sophie. À plusieurs reprises, les parents de Matilda expliquent que les « petites filles sont faites pour être vues mais non pas pour être entendues »[14]. Roald Dahl rejette cette vision de celles qui vont bientôt être des femmes. Il le montre en caractérisant ces figures féminines de qualités intellectuelles exceptionnelles.

Jean Verrier dans un article intitulé « Une initiation jubilatoire » paru sur le site du Centre National de Documentation Pédagogique affirme que le conte populaire sert à renforcer la cohésion sociale, car même le héros défavorisé au départ trouvera un moyen de s'intégrer à la société. Mais Jean Verrier explique que « ce dénouement [n'est] absolument pas crédible en réalité ». Le public, même naïf ne croit pas à cette fin trop édulcorée. Il ajoute par ailleurs :

L’intérêt est ailleurs. On sait bien qu’on ne transformera ni la société ni la loi ni le pouvoir. Mais la solution utopique proposée par les contes agit comme une soupape de sécurité ; elle fait rêver, sans trop d’illusions, à des lendemains qui chantent d’où le mal serait banni ; et elle permet peut-être de rentrer dans le rang et de mieux supporter le monde tel qu’il est. Le conte expose les contradictions et les conflits auxquels tout le monde est confronté ; il peut critiquer les injustices, les abus d’autorité, mais, en général, il ne remet pas fondamentalement en cause les normes sociales en vigueur. Il reflète la société telle qu’elle est avec ses drames, ses injustices, telle qu’elle se souhaite avec des héros idéalisés et le triomphe de la vertu, telle qu’elle se redoute avec les puissances du mal. 137

Les histoires doivent aider l'enfant à comprendre le monde et surtout ne pas lui cacher la vérité, mais sans pour autant l'effrayer. L'objectif de Roald Dahl, c'est d'apprendre en s'amusant.

3.3.Un humour « délisquisavouresque »

L'apprentissage de la lecture est fondamental pour Roald Dahl, cependant celui-ci comporte beaucoup d'obstacles et de difficultés. Il disait à ce propos qu'« écrire pour les enfants est bien plus dur qu'écrire pour les adultes. Les enfants n'ont pas la concentration des adultes, et si vous ne suscitez pas leur intérêt dès la première page, ils s'en vont vagabonder ailleurs et vont regarder la télé ou bien faire quelque chose d'autre. Ils lisent pour s'amuser ; vous devez les tenir en haleine »138.

Roald Dahl réussit à capter leur attention, d'une part parce qu'il ne sous-estime ni ne dénigre jamais les enfants, d'autre part, parce qu'il joue avec le sens de l'humour de son lectorat. Il dira d'ailleurs que « l'écrivain pour enfant doit être un modèle toujours riant... il doit être subversif et inventif »139. L'humour de Roald Dahl pimente d'une façon si admirable son récit qu'il semble impossible pour son lectorat de se détacher de sa lecture.

Pour cet auteur, tout est matière à s'amuser et à faire rire les enfants. Et même la gravité de certains événements ne semble pas un obstacle à l'humour de Roald Dahl. Ainsi, il met en place une approche imagée et réconfortante du monde et des autres. Tout en alimentant les fantasmes de l'enfant, il en efface l'aspect culpabilisant et angoissant grâce à sa dynamique et à ses conclusions optimistes et toujours empreintes d'humour.

3.3.1. Un rire malicieux et unificateur

L'auteur de littérature jeunesse utilise donc l'humour pour capter l'attention de son lectorat. L'humour dans les oeuvres de Roald Dahl a deux fonctions principales. Il permet de tourner en dérision les défauts des méchants et leur manque d'imagination, et de créer de liens forts entre les individus.

Tout d'abord, on rit des personnages bêtes et méchants, à la manière de Molière dont la formule « castigat ridendo mores » est célèbre. La description seule des personnages est souvent de nature très comique. Roald Dahl met bien en évidence les défauts de chacun. Ainsi, Tante Piquette, Tante Éponge, les ogres, Mlle Legourdin, les quatre enfants de Charlie et la chocolaterie sont ridiculisés.

Mlle Legourdin est décrite par contraste avec la norme. Alors que les dirigeants d'établissements scolaires sont choisis pour leur ouverture d'esprit, leur coeur, leur sens de la justice et de l'éducation[84], Mlle Legourdin est décrite comme une créature mi-homme mi-taureau :

C'était une espèce de monstre femelle d'aspect redoutable. Elle avait en effet accompli, dans sa jeunesse, des performances en athlétisme et sa musculation était encore impressionnante. Il suffisait de regarder son cou de taureau, ses épaules massives, ses bras musculeux, ses poignets noueux, ses jambes puissantes pour l'imaginer capable de tordre des barres de fer ou de déchirer en deux un annuaire téléphonique. Pas la moindre trace de beauté sur son visage qui était loin d'être une source de joie éternelle. Elle avait un menton agressif, une bouche cruelle et de petits yeux arrogants.[...] Bref, elle évoquait beaucoup plus une dresseuse de molosses sanguinaires que la directrice d'une paisible école primaire.[85]

La laideur physique et la description hyperbolique de sa musculature sont très représentatives des caricatures de personnages de contes. La caricature permet de prendre de la distance avec ce personnage. Le même procédé sera utilisé dans la description des ogres du pays des géants. Par ailleurs, dans les récits de Roald Dahl, le narrateur ridiculise le personnage malfaisant en le mettant dans une situation cocasse. Par exemple, la scène où Mlle Legourdin est effrayée par un simple petit triton qui entre en contraste avec sa taille colossale :

Mlle Legourdin souleva alors le grand pichet de terre cuite bleue et versa un peu d'eau dans son verre. C'est alors, avec un plop mat, que le triton entraîné par le liquide fit un plongeon dans le verre. Mlle Legourdin laissa échapper un glapissement et bondit comme si un pétard avait explosé sous sa chaise. [...] Mlle Legourdin, cette femme colossale, debout, avec sa culotte verte, tremblait comme une crème renversée. [158]

Le comique de la scène est amplifié par la répétition de l'évocation du triton. En effet Maltilda réussit à renverser le verre contenant encore le triton sur Mlle Legourdin :

L'eau et le triton qui se tortillait de plus belle jaillirent sur Mlle Legourdin dont ils éclaboussèrent l'énorme giron. La directrice laissa échapper un glapissement qui dut faire vibrer toutes les vitres de l'établissement et, pour la seconde fois en cinq minutes, elle bondit de sa chaise comme une fusée. [164]

Tante Piquette et Tante Éponge sont, tout comme Mlle Legourdin, caractérisées par leur laideur physique. Le narrateur nous les rend risibles lorsque, malgré une apparence peu avantageuse, elles sont en admiration devant leur physique. L'exemple de Tante Éponge est très significatif : « Tante Éponge avait posé sur ses genoux un miroir à long manche qu'elle ne cessait de soulever pour s'extasier devant sa hideuse figure ». Tante Éponge s'exclame pourtant :

« Je suis belle et parfumée/Comme une rose de juin/Que pensez-vous de la courbure/ De mon petit nez mutin ?/ De mes bouclettes de satin? /Et quand j'enlève ma chaussure,/ De mes orteils, si fins, si fins ? [...]Là ma beauté, avec ou sans voiles, fera pâlir toutes les étoiles » [15-16]

Son comportement est d'autant plus risible que le lecteur mais aussi Tante Piquette ne sont pas dupes de cette fausse beauté. C'est pourquoi Tante Piquette lui dit ironiquement : « Vous ferez, chère soeur, c'est certain un fabuleux Frankenstein »[16].

Augustus Gloop, Violette Beauregard, Véruca Salt, Mike Teavee seront ridiculisés avec les chansons des Oompas-Loompas. Leurs parents le seront également, car leurs gestes et leurs comportements sont complètement déphasés par rapport à ce qui arrive à leur enfant.

C'est aussi leur manque d'imagination qui est pointé du doigt. En effet, les jeux de mots évidents sur les portes de la chocolaterie ne sont pas compris par les enfants. Ce manque d'humour de certains enfants reflète leur manque d'ouverture d'esprit :

(...)ils pouvaient déchiffrer en passant ce qui était écrit sur cette porte : HALLE DE DEPÔT N° 54: TOUTES LES CRÈMES : CRÈME FRAÎCHE, CRÈME FOUETTÉE, CRÈME DE VIOLETTE, CRÈME DE CAFÉ, CRÈME D'ANANAS, CRÈME DE VANILLE ET CRÈME À RASER.« Crème à raser ? Cria Mike Teavee. Comment ? Vous en mettez dans vos chocolats ? - En avant ! Hurla Mr. Wonka. Ce n'est pas le moment de répondre à des questions stupides. »[...] Ils passèrent devant une porte jaune où on pouvait lire : HALLE DE DEPÔT N° 77 : TOUS LES GRAINS, GRAINS DE CACAO, GRAINS DE CAFÉ, GRAINS DE MARMELADE ET GRAINS DE BEAUTÉ. « Grains de beauté ? S'écria Violette Beauregard.- Oui comme celui que tu as sur le nez ! Dit Mr. Wonka. Ce n'est pas le moment de discuter ! En avant ! Plus vite ! [114-115]

On retrouve en abondance ces calembours gourmands non seulement dans tout le livre Charlie et la chocolaterie mais aussi dans Le Bon Gros Géant. Ces formes extravagantes apparaissent naturellement dans l'oeuvre de Roald. En effet, la fantaisie verbale se rencontre déjà dans le babil enfantin, dans les comptines de cours de récréation et dans les plaisanteries orales de la vie quotidienne. On notera bien sûr dans Charlie et la chocolaterie le grand défilé d'inventions culinaires et de jeux de mots comme les caramels à cheveux [116], les oreillers et le papier peint mangeables, les crèmes glacées chaudes [136]. Mais c'est aussi la « frambouille » du monde des géants qui se doit d'être opposée aux schnockombres répugnants. Il ne faut pas oublier non plus tous les mots « délisquisavouresques » prononcés par le BGG. Tous ces mots, calembours ou mots-valises, favorisent et font travailler l'imagination. On retrouve également des jeux sur les mots dans les chansons du mille-pattes dans James et la Grosse pêche. Cette chanson provoque le rire, car les recettes que propose le mille-pattes sont en décalage avec la réalité et les normes alimentaires des humains :

J'adore les tailles de guêpe écrasées / À la vaseline et sur canapé. / Et les vertèbres de porc-épic, / Le rôti de dragon un peu moisi,/ Plat fort coûteux, fort apprécié / (Expédié par courrier supersonique).

Et j'aime les tentacules d'octopi, / Les petites saucisses à la réglisse / C'est chaud, c'est vivant et ça glisse / C'est arrosé de carburant / (De « super » naturellement) !

Le jour de ma fête, je me fais servir / Des nouilles flambées au poil de caniche / Bien parfumées à l'élixir /D'ongles coupés et de cils de biche (A avaler les yeux fermés)/

Enfin, il faut que je vous le dise : / Chacune de ces friandises / Est rare, onéreuse, onirique. / Mais je donnerais le tout / Pour un tout petit bout / De cette PÊCHE FANTASTIQUE ! [75-76]

Les chansons du mille-pattes réunissent des éléments divers qu'il détourne de leur usage premier, et c'est ce mélange incongru de produits hétéroclites qui est à l'origine du rire. L'humour de ses chansons a également l'avantage de rendre heureux et d'unir les gens. En effet, le narrateur indique qu'après la chanson du mille-pattes « tout le monde était heureux et détendu. Le soleil brillait d'un éclat encourageant dans le ciel bleu et la mer était calme »[76]. L'humour chez Roald Dahl est « unificateur », créateur de lien.

Dans le même type d'humour, c'est à table que Roald Dahl va jouer sur le comique de caractère en attablant un BGG bien peu conventionnel. Celui-ci ne connaît pas les codes et les règles de savoir-vivre propres aux hommes et c'est ainsi, qu'assis face à la reine d'Angleterre, il émettra une symphonie musicale, propice au rire des enfants :

La musique est excellente pour la digestion, assura la reine, lorsque je suis en Écosse, des joueurs de cornemuse donnent des concerts devant mes fenêtres pendant mes repas. Je vous en prie, jouez-nous donc quelque chose. - J'ai la permission de Sa Majestueuse ! S'exclama le BGG. Et il lâcha aussitôt un crépitage qui retentit dans la grande salle de bal comme si une bombe venait d'y exploser. La reine sursauta. - Youpiiie ! S'écria le BGG, voilà qui sonne autrement mieux que les cornes à muses, n'est-ce-pas, Majestueuse ? Il fallut quelques secondes à la reine pour se remettre du choc. - Je préfère les cornemuses, dit-elle enfin. Elle ne put s'empêcher cependant de sourire.[190]

Ce comique rabelaisien ou comique du « bas corporel » selon Bakhtine est effectivement souvent utilisé par Roald Dahl qui, en bon pédagogue, est sûr de faire rire l'enfant. Comme la frambouille, les boissons gazeuses aérodynamiques de Willy Wonka provoquent des bruits assez inconvenants[138].

3.3.2. Humour et démystification

À côté du rire goguenard de Roald Dahl, il y a d'une part, un rire rassurant, et d'autre part un rire démystificateur. En effet, une des premières qualités du rire est la possibilité de prise de distance par rapport au vécu. Jean Émelina explique que le bonheur, les rêves ou le chagrin submergent l'individu alors que le comique agit différemment :

[Le comique] s'oppose par sa nature à ces « invasions » comme Démocrite s'oppose à Héraclite. Je ne puis rire du vécu, heureux ou malheureux, que [...] si je dresse des barrières mentales entre lui et moi. C'est parce qu'il ne sait pas opérer cette déconnexion que l'animal, qui connaît la joie, la peur, la colère, ne rit pas, et que le rire est bien le propre de l'homme.140

Grâce au rire, l'enfant peut prendre de la distance avec les peurs que lui inspire le monde des adultes. Ainsi, comme l'explique Vicki Weisseman, l'exagération des atrocités de certains personnages dans l'univers de Roald Dahl, n'est pas prise au sérieux par l'enfant :

Personne n'est réellement blessé, et les formes de la mort et de la torture sont aussi réelles et aussi peu considérées que lorsque le magicien scie son assistante en deux. Les enfants rejettent ce qu'ils ne veulent pas et suivent leur voie, comme le fait M. Dahl quand un personnage dérange le cours de l'histoire.141

On ne rit pas parce que ces personnages réduits à l'état de types sont laids, bêtes et méchants, mais parce qu'on nous offre le spectacle de la défaite de personnages suspects et inquiétants qu'on a rendus à dessein laids, bêtes et méchants, et que ce « triomphe d'angoisse » a mis hors d'état de nuire.

Tout est matière à rire chez Roald Dahl, et même les sujets les plus graves sont traités avec légèreté. La mort ne fait pas exception à la règle. Elle est même fréquemment évoquée, mais bien sûr toujours sur le mode du rire. Nous assistons dans ces récits cruels à une démystification d'événements dramatiques par l'humour ou le comique qui permet une évacuation, un déplacement rassurant ainsi les lecteurs.

Plusieurs scènes traitent d'une peur fondamentale de l'enfant, la « peur de l'ogre », mais Roald Dahl fait fi des conventions et s'attaque à cette peur sans aucun répit. Les scènes de quiproquos qui en résultent sont savoureuses par leur humour. Par exemple, Sophie croit qu'elle va se faire manger. Elle imagine les façons dont le géant pourrait la manger (« bouillir », « frire », « crue », « sauter »[28]). Elle ne sait pas qu'elle est entre les mains du seul géant végétarien. Après avoir essayé de résister et voyant que la conversation dure (de la page 22 à la page 36) elle pense alors : « Si elle devait être mangée, mieux valait en finir une bonne fois plutôt que de laisser ainsi les choses traîner en longueur »[35].

De même Charlie face aux insectes géants croit son dernier jour arrivé surtout lorsque chacun à leur tour ils avouent leur appétit :

L'araignée - une araignée femelle - ouvrit la bouche. Une langue noire et effilée parcourut délicatement ses lèvres. Et toi ? N'as-tu pas faim ? demanda-t-elle soudain à James. Frissonnant, muet d'effroi, le pauvre petit garçon recula vers le mur. - Qu'est-ce qui t'arrive ? demanda le vieux grillon des champs. Tu n'es pas malade ? - On dirait qu'il va tomber dans les pommes, constata le mille-pattes. - Oh ! le pauvre petit ! s'écrit la coccinelle. Il pense que c'est lui que nous allons manger ! Et tout le monde éclata de rire.[44-45]

Quelques pages suivantes, c'est le ver de terre qui a peur de se faire dévorer par les mouettes à qui il doit servir d'appât. Le pathétique est tellement exagéré et cette scène est décrite si longuement – de la page 84 à la page 86 – que la situation ne peut que devenir comique. Cet effet de comique est bien sûr accentué par la personnalité du ver de terre qui est vraiment peureux :

- Assez ! Cria le ver de terre. Assez, assez, assez ! Je ne marche pas ! Je proteste ! Je ... je ... je ... je ... - Du calme ! Dit le mille-pattes. N'as tu pas honte de ne penser qu'à toi ? - Je pense à ce qu'il me plaît ![...] - Tu seras un martyr, dit le mille-pattes. Je te respecterai jusqu'à la fin de ma vie. - Moi aussi, je te respecterai, dit mademoiselle l'araignée.[...] - Elles me picoreront à mort ! Se lamenta le ver de terre. - Mais non, voyons ! - Mais si je le sais ! Et je ne les verrai même pas foncer sur moi puisque je n'ai pas d'yeux ![...] - Oh ! Je n'aime pas ce jeu, pleurnicha le ver de terre. Elle a failli me piquer ! J'ai senti ses battements d'ailes sur mon dos ! [84-90]

Même la mort des parents de Sophie ainsi que celle de James prennent un tour comique dans les histoires de Roald Dahl. Le Rhinocéros, qui a tué les parents de James en quelques secondes, « trente-cinq secondes exactement », reste énigmatique et burlesque. Les parents de Sophie sont morts dans un accident, mais Roald Dahl refuse que la vie de Sophie soit pathétique. Ainsi, lorsque le BGG apprend que Sophie est orpheline, cette annonce provoque chez le BGG une scène de crise de larmes. L'exagération comique des larmes de celui-ci, comparables à de gros seaux d'eau, est d'autant plus surprenante de la part d'un géant que l'on aurait pu le croire, quelques lignes plus tôt, dévoreur d'enfants. C'est finalement Sophie qui console le BGG.

De même, lorsque les tantes de James sont écrasées, le narrateur est loin de s'apitoyer sur leur sort. Leur mort prend un tour comique puisqu'elles sont écrasées par une pêche géante, un fruit imaginaire et fantastique. De plus, dès la page 33, leur mort n'a plus aucune importance puisque les tantes semblent ne plus faire partie de ce monde : « Et l'énorme fruit les dominait de sa rondeur dorée, si bien qu'elles ressemblaient à des Lilliputiennes venues d'un monde lointain »[33].

L'atrocité des festins meurtriers des ogres est elle aussi tournée en dérision, car les descriptions des habitants correspondraient assez bien à celles que l'on pourrait rencontrer dans une boutique de vente de produits régionaux. L'expression « homme de terre » n'est pas sans rappeler les pommes de terre dont les enfants se régalent :

Les Grecs de Grèce ont un goût de gras [...] Les hommes de terre de Panama ont un goût de chapeau. [...] En Autruche ils ont bigrement le goût d'oiseau. [...] Les hommes de terre des îles Shetland ont un détestable goût de laine qui râpe la langue. Les hommes de Terre-Neuve ont un goût de chien. [...] Les hommes de terre de Nouvelle-Gélande [...] ont un goût de Général anglais. [31-44]

Roald Dahl n'est pas le seul à avoir compris l'intérêt d'une démystification de la mort. Jean Emelina dans Le Comique, essai d'interprétation générale met en évidence le bénéfice que le rire peut apporter à l'homme lors d'une épreuve difficile :

Le premier mouvement devant le monde - « bon sauvage », enfant, naïf, âme sensible – c'est la foi, la vibration, l'émotion. Mais chat échaudé craint l'eau froide. À ces envahissements, pour peu qu'ils soient désagréables ou dangereux, répond le « bouclier » du rire, la mise à distance et l'« anesthésie du coeur.142

C'est ce « bouclier du rire » que Roald Dahl utilise pour faciliter le passage de l'enfant vers le monde adulte.

À coté du rire, le merveilleux agit lui aussi comme un bouclier. Ensemble, ces deux protections permettent de mieux s'intégrer au monde sans trop se blesser ; et surtout sans perdre ces joies instinctives tels que l'imagination créatrice, l'émotion spontanée, la libre expression et le pouvoir de percevoir le monde comme un monde merveilleux que l'on pourrait recréer, retranscrire à sa guise.

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La gourmandise et la quête de soi. /index.php/2006/12/11/8-la-gourmandise-et-la-quete-de-soi 2006-12-11T22:08:19+01:00 fr Camille Crozier Deuxième partie Les récits de Roald Dahl sont non seulement des récits pour apprendre sur le monde mais également des récits pour apprendre sur soi. Nous l'avons déjà fait remarqué, Le Bon Gros Géant, Charlie et la chocolaterie, James et la grosse pêche ainsi que Matilda sont des récits...

Les récits de Roald Dahl sont non seulement des récits pour apprendre sur le monde mais également des récits pour apprendre sur soi. Nous l'avons déjà fait remarqué, Le Bon Gros Géant, Charlie et la chocolaterie, James et la grosse pêche ainsi que Matilda sont des récits destinés à un public qui est à la charnière du monde de l'enfant et du monde des adultes. Roald Dahl rassure son lectorat en lui montrant la voie à suivre pour parvenir à ce stade. Ainsi, ses récits acquièrent un statut tout particulier, à savoir celui du conte. Dans un article intitulé « Les oeuvres pour enfant de Roald Dahl », Virginie Douglas qualifie ces récits de « contes modernes »115. Ceci va nous conduire à prendre en considération la théorie sur le conte merveilleux de Vladimir Propp.

Il n'est pas étonnant de rapprocher les récits de Roald Dahl des contes, tant ils sont marqués par l'oralité. Avant d'être imprimés, l'auteur les avaient préalablement « testés » sur ses propres enfants, ce qui explique la trace d'un narrateur conteur dans les livres. À la manière des conteurs traditionnels, Roald Dahl établit dans ses textes une relation de complicité avec son jeune lectorat.

Une autre marque indéniable du conte est celle du lieu indéterminé. Cette indétermination facilite l'identification du lecteur aux situations décrites. Ainsi, Matilda habite une « petite chambre d'un village anglais »[24], James et ses deux tantes habitent « une singulière bicoque au sommet d'une colline pointue, dans le sud de l'Angleterre » [11], Charlie et sa famille habitent « dans une petite maison de bois, en bordure d'une grande ville »[13], et Sophie est dans l' « orphelinat du village »[45] sans nous en préciser exactement le nom.

De plus, il semble évident que les quatre livres de notre corpus sont des histoires pour grandir, qui est un trait essentiel du conte. De ce point de vue, la gourmandise intervient de manière évidente dans la bonne réalisation de la quête de nos héros. On peut alors se demander à quel niveau et de quelle manière la gourmandise intervient dans la quête d'identité de l'enfant. Elle est la bienfaitrice des contes de fées. En effet, comblant le manque initial, elle caractérise les personnages. Elle permet surtout cette grande et périlleuse aventure, à savoir l'entrée dans la maturité.

2.1. Une gourmandise compensatrice

La nourriture ou plutôt le manque de nourriture montre du doigt la situation difficile dans laquelle se trouvent les héros des livres de notre corpus. Mais la gourmandise permet souvent au héros d'évoluer malgré cette situation délicate où il se trouve.

2.1.1. Le manque initial

Comme nous avons pu le constater, la nourriture est un trait fondamental dans les oeuvres de Roald Dahl, et c'est par ce biais que le narrateur a choisi de montrer dès le début du récit le sentiment d'insatisfaction du héros. Ce sentiment correspond à une des fonctions fondamentales du conte merveilleux décrites par Vladimir Propp. Il est le coeur du noeud de l'intrigue par son caractère décisif qui permettra l'aventure. Dans la Morphologie du conte, Vladimir Propp l'explique en ces termes :

Le besoin ou le manque initial représentent une situation. On peut imaginer qu'avant le début de l'action, cette situation existait depuis des années. Mais il arrive un moment où le quêteur lui-même, ou le mandateur, comprennent que quelque chose manque, et ce moment est celui de la motivation : il entraîne l'envoi ou bien, directement, la quête.116

Chez les quatre héros, ce manque initial provient de leur solitude due à l'absence des parents ou à un manque d'affection de leur part. Ces héros solitaires ressemblent d'ailleurs étrangement aux héros de Charles Dickens que Roald Dahl aime tout particulièrement comme on peut le constater dans ses ouvrages où à plusieurs reprises il en est question. Dans les histoires de Dickens, l'enfant doit également évoluer et affronter le monde seul.

Sophie et James sont tous les deux orphelins. Les parents de Sophie « sont morts tous les deux lorsque [elle était] encore bébé »[45], mais les circonstances de leur disparition ne sont pas précisées par le narrateur. En revanche, on connaît celles des parents de James, morts lorsque celui-ci était encore très jeune. Ils furent dévorés par un rhinocéros. Ce sentiment de manque, chez le jeune James, est, selon Virginie Douglas, accentué par l'évocation d'une situation antérieure idyllique évoquée en ces termes :

Jusque-là, c'était un garçon très heureux. Il vivait en paix avec son père et sa mère dans une jolie maison, au bord de la mer. Il avait de nombreux compagnons de jeu avec qui il passait son temps à courir sur le sable et à barboter dans l'Océan. Bref, c'était la belle vie, la vie dont rêvent tous les petits garçons. Puis, un jour, (...)[9]

Matilda souffre d'un terrible manque d'affection de la part de ses parents qui « ne manifestent aucun intérêt »[13] pour elle. La solitude de Charlie est plus imperceptible, mais tout aussi significative. En effet, ce petit garçon vit à l'égard de tout, « en bordure de ville »[13]. Ses parents sont entièrement préoccupés par leurs soucis. De plus, le narrateur présente les membres de la famille Bucket deux par deux : Grand-papa Joe et Grand-maman Joséphine, Grand-papa Georges et Grand-maman Georgina, Mr et Mrs Bucket. Charlie, lui, est présenté seul.

Le narrateur a choisi de retranscrire et de symboliser ce manque initial par une insuffisance cruelle de nourriture dans le foyer du petit Charlie et de sa famille. Leur nom « Bucket » qui signifie « seau », « godet »  souligne le vide et le manque. Il en va de même pour James dont les deux tantes n'ont que faire du petit garçon qu'elles exploitent depuis qu'il est âgé de quatre ans. Quant à Matilda, Virginie Douglas explique que « la boulimie de livres dont elle fait preuve [...], sans doute pour compenser l'indifférence de ses parents, montre qu'il existe plus d'une façon d'avoir faim »117.

2.1.2. La gourmandise, un personnage à part entière

La volonté de Roald Dahl de faire disparaître les parents – ou autrement dit l'autorité – répond aux attentes de l'enfant. En effet, selon Bruno Bettelheim, cela correspond à un désir de l'enfant :

En raison de ses nouvelles expériences avec le monde extérieur, l'enfant peut se permettre de constater les « limites » de ses parents, c'est-à-dire leurs imperfections, vues sous l'optique des ses attentes irréalistes. En conséquence, il est si déçu par ses parents qu'il s'aventure à chercher ailleurs satisfaction.118

L'enfant réalisant les imperfections de ses parents se rend compte qu'il doit trouver un autre moyen de compensation à la réalité décevante. Il va instinctivement se réfugier dans une nourriture joyeuse, compensatrice et primaire. Ainsi, la gourmandise sera pour l'enfant un adjuvant rassurant dans sa quête et deviendra ainsi un personnage à part entière.

Une étude poussée de deux textes de notre corpus permet de mettre en évidence cet aspect de la gourmandise. Nous effectuerons une analyse linguistique des textes en anglais, ce qui permettra de respecter les choix lexico-sémantiques de l'auteur. Le tableau suivant récapitule les données évoquées par la suite :



Termes significatifs (Charlie)

Nbre d'occurrences


Termes significatifs (James)

Nbre d'occurrences

Wonka

323


James

238

Charlie

240


Peach

158

Grandpa (144) Joe (126)

144


centipede

149

Oompa-Loompa(s)

63


earthworm

97

Mike Teavee

44


Ladybug

71

Mrs Teavee + Mr Teavee

29 + 19


Old-Green-Grassehopper

69

Augustus Gloop

42


Spider

65

Mrs Gloop + Mr Gloop

26 + 12


Eat

22

Violet Beauregarde

49


Aunt Spiker

60

Mrs Beauregarde + Mr Beauregarde

16 + 5


Aunt Sponge

55

Veruca Salt

45




Mrs Salt + Mr Salt

21 + 8




Parent + mother + father

16 + 34 + 19 = 69




Child + boy + girl

135




Chocolate (123) + river + sugar + food + eat + cream + cacao

272




Tableau 1: Analyse linguistique dans Charlie et la chocolaterie et James et la grosse pêche.



Nous constatons ainsi que dans Charlie et la chocolaterie, le mot « parents » est peu évoqué par rapport aux autres personnages. Il y a exactement seize occurrences du mot « parents », trente-quatre du mot « mother » et seulement dix-neuf du mot « father »119. Les parents des enfants punis sont appelés le plus souvent selon un titre, c'est-à-dire « Mr » ou « Mrs », mais le lien affectif ne semble pas établi avec leur enfant. Ce lien n'existe pas puisque des formes plus affectives comme « mum », « mummy », « dad » et « daddy » ne sont évoqués qu'à huit reprises. Les parents sont mis à l'écart parce qu'ils ne jouent aucun rôle dans la vie de leur enfant. Dans James et la grosse pêche et Le Bon Gros Géant, le mot « parent » est très rarement évoqué car les héros de ces histoires sont orphelins.

Les enfants ne se tournent donc pas vers leurs parents pour se rassurer. On remarque ainsi dans cette analyse que James et la pêche ainsi que Charlie et le chocolat forment des couples indissociables. De plus, le terme « chocolate » est l'un des mots qui montre le plus d'occurrences puisqu'il est le quatrième mot significatif le plus utilisé après Willy Wonka, Charlie et Grand-papa Joe.

Cette analyse linguistique a révélé également une forte apparition du verbe « eat » – qui signifie « manger » – dans les deux ouvrages. Le tableau 2 suivant récapitule les verbes principaux dans Charlie et dans James :

Base verbale dans James

Nbre d'occurrences


Base verbale dans Charlie

Nbre d'occurrences

be

489


be

843

go

212


say

354

say

196


have

200

have

197


go

160

see

105


do

142

come

97


cry

124

cry

97


come

119

shout

60


like

100

make

59


look

91

get

50


see

83

eat

35


shout

78

ask

32


take

39

think

31


want

43

begin

29


turn

41

look

28


get

40

keep

26


know

38

start

25


think

36




ask

36




eat

24




whisper

19




stand

19




hear

19

Tableau 2: Verbes les plus fréquents dans Charlie et James



Dans les deux ouvrages, le verbe « eat » apparaît fréquemment. Il y a effectivement trente-cinq occurrences de ce verbe dans James et vingt-quatre dans Charlie. Ce verbe d'après le tableau 2 semble pourtant peu représentatif aux premiers abords. Cependant lorsqu'on omet les verbes de description et les verbes du discours, le verbe « eat » et ses dérivées occupent la première position. La forte apparition de ce verbe est d'autant plus significative lorsqu'on compare les résultats avec « Oncle Oswald », une nouvelle destinée aux adultes de Roald Dahl. Dans cette nouvelle, le verbe « eat » n'y apparaît jamais alors qu'elle comporte quatre fois plus de mots que les livres de notre corpus – environ 146000 mots pour « Oncle Oswald », 33000 mots pour James et 39000 pour Charlie.

Précisons également qu'une étude sur Peter Pan de James Barrie montre que le livre ne comporte quant à lui qu'une seule occurrence de « eat ». Ce verbe n'est donc pas directement lié à la littérature de jeunesse mais bien aux ouvrages de Roald Dahl destiné à un public jeune.

Cette analyse bien que succincte souligne avec pertinence qu'une nourriture merveilleuse accompagne nos héros dans leurs aventures. La gourmandise est une véritable bienfaitrice pour James, Charlie, mais aussi Sophie et Matilda. En effet, la gourmandise accompagne Matilda dans ses activités sous la forme « d'une tasse de chocolat chaud » parce que selon la petite fille, « il n'y a rien de plus agréable que de boire un chocolat à petites gorgées en lisant »[23-24]. Dans le Bon Gros Géant, il suffit de consulter la table des matières pour se rendre compte de l'importance de ce personnage qu'est la nourriture : « Les schnockombres », « Frambouille et crépitage », « La mixture de rêve », « Le petit déjeuner Royal », « L'heure du repas »[233].

Notons un autre élément important : l'édition Folio junior qui représente toujours en bas de tranche l'illustration du héros ou du personnage principal rend un bel hommage à la gourmandise puisque sur la tranche du livre Charlie et la chocolaterie, l'éditeur a choisi de représenter des confiseries.

2.2. Une éthopée alimentaire

D'autre part, les récits se particularisent par les portraits caricaturaux des personnages, à la manière des contes. Roald Dahl a tendance à user, voire abuser, de la caricature pour décrire les traits et surtout les défauts physiques et moraux de ses personnages.

Les contes utilisaient la caricature pour que chacun puisse s'identifier aux personnages. Ceux-ci étaient décrits de manière imprécise par quelques traits de caractère bien particuliers. Jacqueline Held ajoute que dans le conte, « le merveilleux est le miroir magique qui nous renvoie à nous-mêmes, aux liens qui nous attachent aux autres (...) »120. Dans Charlie et la chocolaterie, Roald Dahl propose dès le début du livre [9] une exposition des personnages présentés selon leur défaut : Augustus Gloop est un petit garçon très gourmand ; Véruca Salt est une petite fille gâtée par ses parents ; Violette Beauregard est une petite fille qui passe ses journées à mâcher du chewing-gum ; Mike Teavee est un petit garçon qui ne fait que regarder la télévision. Quant à Charlie, sa condition de héros suffit à la caractériser. Matilda est décrite comme une enfant « extraordinaire »121 .

Nous pouvons constater que ces caractéristiques sont couplées avec le régime alimentaire de chacun des personnages. Dans les quatre oeuvres, le mode de vie alimentaire est déterminant dans leur éthopée. Ceci nous renvoie à une notion abordée dans la première partie, à savoir « le principe d'incorporation » défini par Claude Fischler. L'analyse du comportement avec la nourriture est également un critère essentiel dans la caractérisation des personnages de Roald Dahl car il est évident dans ces oeuvres qu'« il y a en somme contamination symbolique du mangeur par la nourriture »122. Cette singularisation par la nourriture se couple d'une onomastique très significative.

Grâce à ces deux critères, il se dégage de Charlie et la chocolaterie, du Bon Gros Géant, de Matilda et de James et la grosse pêche, trois types différents de comportement quant à la nourriture : les gloutons, les avares de nourriture, enfin les gourmands raisonnés.

2.2.1. Les gloutons

Dans les oeuvres de Roald Dahl, le glouton est stigmatisé. Il peut prendre l'apparence de l'ogre, mais aussi de l'obèse. C'est sa servitude à la nourriture qui est montrée du doigt, car le glouton ne vit que pour manger alors que le dicton enseigne qu'il faut seulement manger pour vivre. Son attention est toute portée sur la nourriture. Cette dernière représente tout son univers, ce que Roald Dahl condamne absolument car le glouton ne s'ouvre ni aux autres ni au monde.

Violette Beauregard, Tante Éponge, Augustus Gloop et Julien Apolon sont tous la cible de l'auteur. Violette passe toutes ses journées à mâcher du chewing-gum, ce qui la conduira à être transformée en une grosse myrtille violette. Roald Dahl rend ici concret le principe d'incorporation puisqu'après avoir mangé une pâte à mâcher à la tarte aux myrtilles, la transformation s'opère.

Tante Éponge comme son nom l'indique est caractérisée par l'absorption, ce qui se répercute sur ses caractéristiques physiques :

Tante Éponge était petite et ronde, ronde comme un ballon. Elle avait de petits yeux de cochon, une bouche en trou de serrure et une de ces grosses figures blanches et flasques qui ont l'air d'être bouillies. Elle ressemblait à un énorme chou blanc cuit à l'eau.[13-14] 

Quant à la description d'Augustus Gloop, elle est pratiquement similaire et fonctionne toujours d'après « le principe d'incorporation » de Claude Fischler :

Cette photo représentait un garçon de neuf ans, si gros et si gras qu'il avait l'air gonflé par une pompe ultrapuissante. Tout flasque et tout en bourrelets de graisse. Avec une figure comme une monstrueuse boule de pâte, et des yeux perçants comme des raisins secs, scrutant le monde avec malveillance.[36]

Nous retrouvons la description porcine évoquée pour Tante Éponge dans la chanson des Oompas-Loompas : « Augustus Gloop !/ Tu l'as bien mérité, ta soupe !/On en a assez de te voir/Qui te remplis le réservoir./ Jouflu, Gourmand, glouton,/Énorme comme un gros cochon ».

Les nom et prénom de cet enfant sont intéressants par leurs connotations. Les consonances de son nom de famille « Gloop » rappellent le bruit d'une déglutition gloutonne. Le prénom « Augustus » est également déterminant pour ce personnage. D'une part, il marque la surestimation et la surprotection de sa mère envers lui, car « augustus » signifie en latin « religieux », « vénérable », ainsi qu'« élever en honneur » ou « glorifier ». D'autre part, il est en relation étroite avec le saint du même nom. En effet, dans ses Confessions123, Saint-Augustin explique que Dieu lui avait reproché de ne vivre que des festins et des plaisirs du monde. Mais frappé par les propos de Dieu, il se convertit et abandonne son ancienne vie pour de plus nobles tâches, se consacrant désormais au jeûne et à la prière. Cette conversion rappelle la fin de Charlie et la chocolaterie où défilent les quatre enfants punis. Le petit garçon Augustus est devenu « sec comme une paille »[186]. Peut-être est-ce pour lui le début de la conversion...

Dans les descriptions de Tante Éponge et d'Augustus Gloop, il est évident que Roald Dahl porte un regard accusateur sur les personnes qui, nous l'avons spécifié précédemment, mangent plus que leur part. Dans Charlie et la chocolaterie et James et la grosse pêche, l'obèse se caractérise par son asociabilité. Tante Éponge est effectivement « terriblement méchante » et Augustus est « This boy, who only just before/Was loathed by men from shore to shore »124D'autre part, le narrateur explique qu'il « scrut[e] le monde avec malveillance ». Cette expression montre la peur que l'avidité du glouton puisse aller au-delà de l'engloutissement excessif de nourritures.

Cette attitude vis-à-vis des obèses semble quelque peu subversive de la part de Roald Dahl, mais il faut comprendre cette stigmatisation du « gros » dans ses récits comme une métaphore expliquant son rejet de l'avarice et de l'égoïsme. Le « gros » égoïste et avare est souvent montré du doigt par cet auteur, mais pas systématiquement. Ainsi, Julien Apolon dans Matilda, se trouve congratulé grâce à sa gloutonnerie puisqu'il réussit à tourner à son avantage la punition de Mlle Legourdin. La victoire de la gloutonnerie sur la méchanceté permet à Roald Dahl de monter que même si le premier est un vice à corriger, il est de moindre importance face à la méchanceté d'un adulte.

Dans Le Bon Gros Géant, nous retrouvons cette malveillance du glouton chez les ogres puisqu'ils dévorent sans pitié des enfants et des hommes, sans compter qu'ils en mangent plus que nécessaire, à voir la description physique que nous en fait le narrateur. Il est clair d'après leur nom que ces géants sont déterminés et par leur régime alimentaire effrayant et par leur cruauté : l'Avaleur de chair fraîche, le Croqueur d'os, l'Étouffe-chrétien, le Mâcheur d'enfants, l'Empiffreur de viande, le Gobeur de gésiers, l'Écrabouilleur de donzelles, le Buveur de sang, le Garçon boucher. Ceux-ci sont décrits non seulement comme des êtres asociaux puisqu'ils se combattent en permanence, mais aussi comme des êtres non civilisés :

Les géants n'avaient pour seul vêtement qu'une sorte de jupe courte nouée autour des hanches et leur peau était brûlée par le soleil.[...]Ils étaient si laids. Nombre d'entre eux avaient des gros ventres.[40]

Cela n'est pas étonnant à la vue des propos de notre première partie puisque la gourmandise doit se faire sociale, elle est un indicateur de civilité. D'autre part, les ogres aussi ne vivent que dans l'attente de manger. Le BGG explique à Sophie que lorsqu'ils ne sont pas en train de souper, ils ne font que « traînailler » et « flânouiller »[41]. Leur monde est à l'image de leur esprit, il est aussi désespérément vide de rêve et d'imagination.

2.2.2. Le plaisir oublié

Le deuxième type de comportement alimentaire est également vivement réprouvé par Roald Dahl. En effet, ces personnages à l'envers des précédents sont rachitiques. Ils ne trouvent plus aucun plaisir dans la nourriture et comme nous l'avons spécifié auparavant, rejeter la nourriture c'est aussi s'exclure soi-même de la société. Une nouvelle fois nous verrons que c'est l'obnubilation par une seule et même passion qui causera leur perte.

Dans James et la grosse pêche, Tante Piquette est décrite en ces termes :

Tante Piquette [...] était longue, maigre et osseuse, elle portait des lunettes à monture d'acier fixées au bout du nez avec une pince à linge. Sa voix était stridente et ses lèvres minces et mouillées. Quand elle s'animait ou quand elle était en colère, elle envoyait des postillons. »[14]

Dans la version originale, Tante Piquette est appelée « Aunt Spiker », ce qui signifie « Tante Pointe », connotant à la fois sa maigreur et sa méchanceté. Son apparence physique métaphorise en quelque sorte son avarice. En effet, lorsque Tante Éponge veut manger la pêche, Tante Piquette n'y pense même pas, elle préfère gagner de l'argent grâce à elle. Pourtant, qui n'aurait pas goûté cette pêche fabuleuse, certes pas avec une pelle comme Tante Éponge, mais simplement par curiosité ? Cette qualité semble faire défaut à ce personnage. Le personnage de Madame Cricket dans Matilda lui ressemble beaucoup par son aspect cadavérique (« La cuisinière, une asperge flétrie qui donnait l'impression d'avoir été soumise depuis belle lurette à une dessiccation totale dans un four brûlant (...) »[123]) mais aussi par son indifférence aux malheurs du jeune garçon. C'est d'ailleurs elle, il ne faut pas l'oublier, qui a cuisiné l'objet de torture qu'utilisera Mlle Legourdin.

Véruca Salt est également considéré comme un être asociable. Son prénom « Véruca » fait penser à un parasite. Willy Wonka dira effectivement et cela, dès son arrivée : « Quel nom intéressant tu as ! J'ai toujours pensé que c'était celui d'une sorte de verrue qu'on a sous la plante du pied ! »[82]. Quant à son nom de famille, il signifie « sel ». Ce mot est à l'opposé de tout ce qui est proposé par le chocolatier Willy Wonka. D'ailleurs, il semblerait qu'elle n'éprouve aucun plaisir devant toute cette nourriture. Et malgré les milliers de confiseries de la chocolaterie, son dernier caprice se porte sur un écureuil.

Mike Teavee, lui-non plus, n'est pas intéressé par le chocolat de Willy Wonka. C'est plutôt son unique et seule passion, à savoir la télévision et les films de guerre, qu'idolâtre cet enfant. Roald Dahl a d'ailleurs choisi d'appeler ironiquement ce personnage puisque Mike vient de Michel qui est le saint patron des soldats. Il aurait en effet formé la milice céleste et aurait précipité aux enfers les anges rebelles. Son nom de famille est tout autant significatif puisque Teavea est la prononciation de la lettre T et la lettre V en anglais. TV c'est bien sûr la télévision ou « la boîte à fadaises » comme dirait le BGG. En bref, cela montre sa dépendance à la télévision et aux films violents qui y sont diffusés par rapport aux plaisirs de la gourmandise qui devraient être présents chez un enfant de cet âge.

2.2.3. La gourmandise raisonnée ou « les plaisirs de l'ascèse »

À ces deux types de comportement alimentaire s'oppose le dernier type qui correspond probablement à l'idéal qui doit être atteint pour vivre pleinement sa gourmandise. Au plaisir brutal ou bien à son absence totale liés à la nourriture s'oppose le plaisir serein en harmonie avec soi préconisé par Roald Dahl. Ces gourmands raisonnés ne sont pas esclaves de la nourriture comme les gloutons, mais éprouvent du plaisir quant à leur gourmandise. Ce n'est pas le cas chez les personnages à l'apparence rachitique, symbole de leur manque de désir et de plaisir que procure le monde.

Le BGG, Charlie, James et Mlle Candy sont affamés, pourtant ils ne se plaignent pas de leur condition. Ils sont remarquables par leur courage.

Charlie et James sont tous deux affamés l'un parce que sa famille est très pauvre, l'autre parce que ses tantes ne lui donnent pas à manger. Ces deux héros se montrent très courageux face à l'adversité. Cela n'est pas étonnant lorsqu'on sait que le prénom Charlie vient de Carolus qui signifie en langue germanique le « fort », le « vaillant ». Quant au prénom James, il vient de Jacques. Jacques le juste est celui qui est soutenu par Dieu, mais aussi celui dont la sagesse attire l'admiration de tous. Cette sagesse, il l'utilisera intelligemment lors des épreuves de son voyage initiatique.

Courageux, Charlie l'est même lorsque la nourriture manque dans le foyer. Cela n'empêche pas Charlie d'être amateur de chocolat, bien que ces moments de plaisir gourmand soient rares. La plupart du temps, il se contente de se nourrir des odeurs ou plutôt du « délicieux parfum »[58] de chocolat fondu qui embaume toute la ville. Mais une fois par an, pour son anniversaire, toute sa famille économise pour lui donner une barre de chocolat Wonka. Le plaisir que lui procure cette tablette est immense et sans égal pour le jeune Charlie. Sachant qu'il n'aura de tablette qu'une fois par an, il fait durer sa tablette et son plaisir : 

(...) il plaçait le bâton avec soin dans une petite caisse en bois pour la conserver précieusement comme une barre d'or massif ; puis, pendant quelques jours, il se contentait de le regarder sans même oser y toucher. Puis, enfin, quand il n'en pouvait plus, il retirait un tout petit bout de papier, du coin, découvrant un tout petit bout de chocolat, et puis il prenait ce petit bout, juste de quoi grignoter, pour le laisser fondre doucement sur sa langue. Le lendemain, il croquait un autre petit bout, et ainsi de suite, et ainsi de suite. C'est ainsi que Charlie faisait durer plus d'un mois le précieux cadeau d'anniversaire qu'était ce petit bâton de chocolat à deux sous.[16-17]

La gourmandise de Charlie est raisonnée — il faut en convenir par nécessité — mais le plaisir procuré en mangeant doucement semble bien plus grand que celui du glouton, à la fois brutal et rapide. Charlie savoure les plaisirs qui s'offrent à lui pour ainsi en profiter pleinement, suivant l'aphorisme de Charles-Ferdinand Ramuz qui disait que « ce n'est pas la nourriture qui compte, mais l'appétit ». Charlie connaît ainsi plus que quiconque toute l'intensité du plaisir procuré par le chocolat.

Par ailleurs, le BGG et Mlle Candy renoncent pour un temps aux plaisirs de la nourriture pour conserver leur liberté. En effet, le BGG refuse de manger comme les autres géants de la chair humaine. Il refuse de faire souffrir les hommes. Et pour cela, il n'a qu'une solution non seulement adopter pour seule nourriture le schnockombre, un aliment répugnant et nauséabond, mais aussi abandonner son rêve de « cueillir de gros fruits juteux »[48]. De même, Mlle Candy préfère vivre dans une vieille cabane abandonnée plutôt que de rester prisonnière de sa tante, Mlle Legourdin. Sophie constate que son institutrice est vraiment très pauvre, car elle n'a que de la margarine, quelques tranches de pain et surtout pas de sucre. L'absence de sucre montre qu'elle a perdu sa propre identité. En effet, son nom est très significatif puisqu'il désigne directement les sucres Candy. Dans la version originale, elle se nomme Miss Honey qui signifie en français le « miel ». Dans l'Antiquité, parce que c'était l'aliment le plus sucré, le miel était considéré comme un cadeau des dieux. Par la suite, avec la découverte de la canne à sucre et de la betterave, le sucre supplanta le miel qui acquit alors les mêmes qualités divines. Les personnages du BGG et de Mlle Candy en refusant de se rendre esclave de leur alimentation préfèrent manger moins, mais conserver leur liberté et par là s’élever à des niveaux spirituels et surtout ne pas être entravé par l’excès.

Ce plaisir propre aux oeuvres de Roald Dahl se décline aussi par le sentiment de puissance donné par cette nouvelle maîtrise de soi et de ses instincts. Roald Dahl offre à l'enfant une bonne leçon d'humanité en lui disant qu'il faut arriver à transcender les désirs premiers pour pouvoir regarder plus loin. Le plaisir de manger s'exprime ainsi dans la limite d'une pulsion raisonnée et apprivoisée.

2.3. Un voyage initiatique et gourmand

Dans ces récits, devenir raisonnable et contrôler ses pulsions serait la clef pour devenir adulte. En réalité, ces contes traitent moins de morale que de quête du bonheur. Ils apprennent à l'enfant à se transformer progressivement en adultes heureux. Ils utilisent un langage symbolique du devenir, de la métamorphose personnelle possible, grâce aux vertus, aux talents, à l'intelligence de chacun. En ce sens, ils sont plus initiatiques que moraux.

2.3.1. Des adjuvants initiateurs

Tout d'abord, pour réussir leur voyage initiatique, les héros des contes sont généralement accompagnés ou instruits par des adultes. Mais dans les récits de Roald Dahl, les adultes qui sont censés représenter le but à atteindre, sont discrédités par l'auteur. Ils ne seraient pas fiables pour instruire l'enfant puisqu'ils sont déjà corrompus. En effet, nous l'avons déjà mentionné, James et Sophie sont orphelins ; les parents de Charlie semblent insignifiants, ils n'auront pas une grande importance dans le récit ; les parents de Matilda considèrent leur fille comme un parasite.

Les personnages adjuvants prennent des formes tout à fait hors du commun, liées souvent à la nourriture. Les insectes anthropomorphes de James et la grosse pêche semblent échapper à la règle. Ils sont pourtant loin des adultes. Et ils sont caractérisés par une taille proche de celle d'un enfant. La dichotomie grand/petit, adulte/enfant ne peut donc plus subsister.

Quant à Charlie, il est aidé par deux personnages adultes, mais ces personnages ne sont adultes qu'en apparence. En effet, Grandpapa Joe, le plus vieux de ses quatre grands parents, est décrit comme un petit garçon par Roald Dahl ; il possède l'imagination par son talent de conteur et la spontanéité de l'enfant. En effet, le narrateur décrit le vieillard comme un grand gaillard :

Mais le soir en présence de Charlie, son petit-fils bien aimé, il semblait rajeunir comme par miracle. Toute fatigue le quittait et il devenait plus vif et remuant comme un jeune garçon.[21]

L'enthousiasme provoqué par la découverte du ticket le transforme définitivement en grand « gaillard de quatre-vingt-seize ans et demi »[69]. Willy Wonka est bien sûr le deuxième adjuvant de Charlie. Il est un vieillard fantaisiste et dynamique. Le narrateur le compare même à « un vieil écureuil vif et malicieux »[80].

Matilda va enfin connaître l'amour et l'attention qu'elle mérite grâce à son institutrice Mlle Candy. Bien sûr il s'agit d'une adulte mais elle est décrite comme une toute jeune femme à cause de sa fragilité et de son manque d'indépendance financière et morale :

Mlle Candy [...] devait être âgée d'environ vingt-trois ou vingt-quatre ans. Elle avait un ravissant visage ovale et pâle de madone avec des yeux bleus et une chevelure châtain clair. Elle était si mince et si fragile qu'on avait l'impression qu'en tombant elle aurait pu se casser en mille morceaux, comme une statuette de porcelaine. Mlle Jennifer Candy était une personne douce et discrète qui n'élevait jamais la voix (...)[69-70]

Virginie Douglas affirme que « l'intérêt [de ce personnage] réside dans le fait qu'il s'agisse d'une grande enfant, le récit se terminant lorsqu'elle acquiert son autonomie »125. Il en va de même pour le BGG. Malgré sa grande taille, il parle comme un enfant. Il utilise un vocabulaire si saugrenu et si incorrect que Sophie ne peut s'empêcher de corriger. Il s'explique :

Ah, les mots...soupira-t-il, ils m'ont toujours tellement tracasssé avec mes tics tout à trac ! Il faut simplement que tu essayes d'être patiente avec moi et que tu cesses de chicaner. Je te l'ai déjà dit, je sais très bien quels sont les mots que je veux prononcer, mais d'une manière ou d'une autre, ils finissent toujours pat s'entortillembrouiller quelque part.[61]

Il est comme l'élève qui vient d'apprendre à lire et qui cherche encore ses mots, mais il explique qu'à chaque fois qu'il relit Nicholas Nickleby il apprend de nouveaux mots. Un petit clin d'oeil aux enfants de la part de Roald Dahl pour les inciter à lire davantage.

Tous ces personnages ne représentent pas la contrainte du monde des adultes. C'est grâce à ce subterfuge que le narrateur semble rassurer son lecteur. Dans le même temps, le lecteur se trouve confronté à une situation nouvelle : vivre seul sans ses parents. Cette situation lui fera comprendre qu'il faut trouver soi-même des personnes, des amis qui pourront remplacer la protection de ses parents.

2.3.2. L'entrée dans le monde des adultes

Les contes proposent la plupart du temps un long voyage initiatique dans lequel l'enfant est en partance pour l'âge adulte. Ils lui apprennent que pour trouver son royaume ou autrement dit son identité, il lui faudra quitter sa maison ; que ce voyage ne sera pas sans embûche puisqu'il lui faudra indubitablement prendre des risques et se soumettre à des épreuves. Et cela commence dès le début du parcours initiatique, car pour qu'il ait lieu, il faut préalablement enfreindre les règles. Nous constatons que cette transgression prend la forme d'une tentation dans James et la grosse pêche et Charlie et la chocolaterie, sans doute parce qu'ils sont destinés à un lectorat plus jeune attiré par les premiers instincts126. En effet, dans Les Minuscules, ouvrage destiné à de jeunes lecteurs, le héros, Petit Louis trouve que « tout ce qu'il devait faire était ennuyeux. Tout ce qu'il ne devait pas faire était excitant ». Petit Louis, est attiré par la Forêt interdite où sa mère le défend de pénétrer, mais il transgresse l'interdit à cause de sa gourmandise, à cause « des fraises sauvages [...]tout le sol de la forêt est tapissé de fraises sauvages vermeilles, savoureuses, juteuses »127. Excusés par la faim, les deux héros, James et Charlie vont, eux, transgresser l'interdit. James approchera de la pêche et la goûtera alors que Tante Éponge et Tante Piquette le lui avaient défendu. Charlie, quant à lui, trouve un billet d'un dollar, mais au lieu d'acheter de la nourriture pour sa famille, il achète des barres de chocolat. Matilda, gourmande et avide de livres, refuse d'obéir à son père qui ne veut plus qu'elle lise. Elle brave l'autorité pour assouvir sa faim de livres. Sophie se lève pendant la nuit alors que le règlement de l'orphelinat le condamne fortement.

À partir de cette transgression, l'aventure à proprement parler peut enfin commencer. Il va se produire une rupture profonde entre le monde dans lequel l'enfant vivait et le monde dans lequel il vivra cette aventure. Dans Psychanalyse des contes de fées, Bruno Bettelheim explique pourquoi il est nécessaire pour l'enfant de se trouver dans un autre monde, dans un monde fantasmagorique pour pouvoir progresser et grandir :

Il faut savoir que les frustrations de l'enfant, les difficultés qu'il doit vaincre ne sont pas plus redoutables que ce que nous devons tous affronter dans des circonstances normales. Mais parce que, dans l'esprit de l'enfant, ces difficultés sont les plus grandes que l'on puisse imaginer, il a besoin d'être encouragé par des fantasmes où le héros, avec lequel il peut s'identifier, parvient à sortir avec succès de situations incroyablement difficiles.128

En effet, le narrateur-conteur utilise cette technique pour faciliter l'apprentissage, car dans ce nouveau monde, tout semble possible pour l'enfant, les obstacles semblent plus faciles à surmonter alors qu'ils lui paraissaient insurmontables dans le monde réel.

Pour marquer ce passage entre les deux mondes, le narrateur choisit de métaphoriser ce changement de lieu par un tunnel spatial ou temporel. On retrouve ce procédé dans de nombreux contes comme dans Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll. En effet, Alice après avoir suivi le lapin avec une montre à gousset, se précipite à l'intérieur du terrier du lapin. À partir de ce moment-là commence une chute interminable :

Dévorée de curiosité, elle [Alice] le [le Lapin] suivit à travers champs et eut juste le temps de le voir s'engouffrer dans un vaste terrier sous la haie. [...] Le terrier descendait à pic comme un tunnel, puis plongeait en coude [... ] elle se vit tomber dans ce qui semblait un puits très profond129.

Dans Charlie et la chocolaterie, les heureux possesseurs des tickets d'or et leurs accompagnateurs entrent dans un nouveau monde. Ils y accèdent grâce à un long corridor qui descend sous terre. C'est d'abord par les yeux de Charlie que nous est présenté ce passage : « Charlie Bucket vit un long couloir qui s'étirait devant lui à perte de vue. Ce corridor était assez large pour laisser passer une voiture. »[84]. Grandpapa Joe souligne que le couloir est rempli d'odeurs extraordinaires : « les plus merveilleux parfums du monde se rencontraient dans l'air qu'ils respiraient »[84]. Quant à Willy Wonka, il fait vivre à ses invités une course effrénée :

Il emprunta le corridor en courant, laissant flotter derrière lui la queue de son habit couleur prune, et les invités de mirent tous à courir après lui. [...]Bientôt il quitta le corridor principal pour un autre couloir, à peine plus étroit, à sa droite. Puis il tourna à gauche. Puis encore à gauche. Puis à droite. Puis à gauche. Puis à droite. Puis à droite. Puis à gauche. On aurait dit une gigantesque garenne avec un tas de couloirs menant dans tous les sens.[85]

Ce passage s'effectue grâce à une accélération temporelle et un parcours spatial qui conduit les protagonistes dans les profondeurs de l'usine, symbolisant indubitablement les profondeurs de l'être. En effet, Willy Wonka s'exclame : « Nous descendons au sous-sol ! Toutes les salles importantes de mon usine se situent très bas au-dessous du niveau de la terre ! »[86]. Le meilleur de l'être se trouve au plus profond de soi.

Pour James, le voyage s'effectue de la même manière. En effet, il rampe dans un tunnel sombre. À la différence de Charlie, il se nourrit non pas des odeurs, mais du jus et de la chair de la pêche : « Toutes les deux secondes, James s'arrêtait pour manger un morceau de la paroi. La pêche était sucrée, juteuse et merveilleusement rafraîchissante »[40]. Il suit le tunnel creusé dans la pêche jusqu'au noyau de la pêche :

Et soudain [James] s'aperçut que, non loin de lui, près du sol, la pêche avait un trou. C'était un trou assez important. Il pouvait être l'oeuvre d'un animal de la taille d'un renard. James se mit à genoux devant le trou. Il y introduisit d'abord la tête et les épaules. Il y entra tout entier, en rampant. Et il continua à ramper.[...]Le tunnel était humide et sombre.[...] À présent, il dut escalader une pente, comme si le tunnel conduisait au coeur même du fruit gigantesque.[...]Il fit encore plusieurs mètres en rampant lorsque soudain – bang ! - sa tête heurta quelque chose d'extrêmement dur qui lui barrait le chemin. Il leva les yeux sur une paroi solide qui, à première vue, semblait être en bois. Il avança une main. Au toucher, cela ressemblait bien à du bois, mais à du bois tout sinueux, tout craquelé. [39-40]

Dans Le Bon Gros Géant, Sophie fait, elle aussi, un long voyage tout aussi magique dans les bras du géant avant d'atteindre la caverne sombre du BGG :

Le géant courait et courait encore. Mais il s'était produit un curieux changement dans l'allure de sa course. Il semblait avoir soudain passé une vitesse supérieure. Il allait de plus en plus vite à tel point que le paysage alentour devint flou.[...]Elle avait l'impression que les pieds du géant ne touchaient plus le sol. On aurait dit qu'il volait ; quant à savoir s'il parcourait la terre ou la mer, c'était impossible. Il y avait quelque chose de magique dans ses jambes.[26]

Sophie se retrouve à la fin de ce voyage dans la caverne du Bon Gros Géant. En revanche, pour Sophie et aussi pour Matilda, le passage vers l'âge adulte ne s'effectue pas grâce à la nourriture, mais celle-ci y reste toujours présente. Matilda ne possédera le pouvoir de télékinésie qu'en passant dans un autre monde. Ce don merveilleux lui permet alors de braver l'impossible et de surmonter les épreuves. Ce passage d'un monde à l'autre est bien plus subtil que ceux énoncés précédemment. Il se fait lorsque Matilda et Mlle Candy se dirigent vers la petite maison :

Elles s'avançaient le long des ornières desséchées sur le sol terreux et devaient veiller à ne pas se tordre les chevilles. [...] Elles atteignirent un nouveau petit portail vert à demi enfoui dans la haie, sur la droite et presque caché par les branches de noisetiers. [...] Matilda vit un court sentier menant à une minuscule maisonnette de brique rouge. On eût dit plutôt la maison d'une poupée que la demeure d'un être humain. [...] Le décor était si irréel, si fantastique, si étranger au monde terrestre. On eût dit une illustration de Grimm ou d'Andersen. [...] Elle sortait d'un conte de fées. [180-182].

Le parcours initiatique est bien une donnée sine qua non du conte. En effet, le personnage principal est entraîné par sa destinée à poursuivre une quête et cette quête c'est celle de devenir adulte. Grâce à ces récits, le conteur met en avant l’apprentissage, l’expérience et les facultés du héros. C'est un grand voyage vers l’âge adulte, où le héros se fraye un chemin dans un monde semé d’embûches. Le conteur a également pour mission de montrer à l'enfant que devenir adulte c'est certes devenir mature, mais aussi être enfin pris au sérieux. Mlle Candy fait comprendre à Matilda qu'elle est une enfant exceptionnelle. James est admiré par ses compagnons de voyages, car il a fait preuve à plusieurs reprises de discernement et d'intelligence pour les sortir de mauvais pas. Charlie est récompensé par Willy Wonka qui lui lègue sa chocolaterie. Et Sophie est écoutée elle-même par la reine d'Angleterre. Tous les héros ont finalement besoin de reconnaissance et d'être écoutés par les adultes pour être enfin pleinement heureux.

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La gourmandise : moteur de l'apprentissage /index.php/2006/12/11/7-la-gourmandise-moteur-de-l-apprentissage 2006-12-11T22:07:13+01:00 fr Camille Crozier Deuxième partie L'enfant n'est pas un être parfaitement innocent ou même insouciant, seulement il n'a pas encore l'expérience de l'adulte. Pour accéder au monde des grandes personnes, l'enfant doit passer par une longue période d'apprentissage qui correspond à un éloignement progressif de...

L'enfant n'est pas un être parfaitement innocent ou même insouciant, seulement il n'a pas encore l'expérience de l'adulte. Pour accéder au monde des grandes personnes, l'enfant doit passer par une longue période d'apprentissage qui correspond à un éloignement progressif de l'ignorance. Cette ignorance s'entend non pas comme innocence ou naïveté, mais bien comme inexpérience. L'enfant arrive dans un monde dont il doit tout apprendre. Bien évidemment, il a dès sa naissance – et même avant sa naissance d'après certaines études récentes – des impressions, des sensations. Il possède donc un savoir qu'il doit utiliser pour comprendre le monde et ainsi s'adapter à lui.

Roald Dahl se trouve alors devant le problème suivant : comment intéresser l'enfant, et comment lui faire dépasser ses peurs pour qu'il accède avec envie au savoir ? L'enfant, comme chacun le sait, s'émerveille naturellement et en permanence devant le monde. Il n'en reste pas moins que l'apprentissage est d'autant plus facile si on arrive à retenir son attention. Et Roald Dahl utilise la gourmandise à cet effet puisque celle-ci est à la fois rassurante et captivante. C'est un fabuleux « moteur d'apprentissage ».

1.1. La gourmandise, une ouverture sur le monde ?

1.1.1 S'émerveiller devant le monde

Aujourd'hui, l'enfant est incessamment sollicité par les informations qui lui viennent de l'extérieur. En effet, les informations lui parviennent de toute part grâce notamment aux nouvelles technologies comme la télévision, l'ordinateur. La curiosité le pousse ainsi à en savoir toujours plus sur le monde dans lequel il évolue et plus généralement vers des plaisirs primitifs et réprimés issus par exemple de la nourriture. Le mélange savoureux de la gourmandise et de la curiosité n'a-t-il pas toujours été perçu comme tel ? Ne sont-ils pas deux « vilains défauts » à corriger ?

Jean Pederos dans un article intitulé « N'est pas gourmand qui veut ! » rejette cette théorie. Il prône une curiosité gourmande, mais raisonnée :

La gourmandise n'est pas un défaut donné à tout le monde. Ça se mérite. Dans la vie de tous les jours, être gourmand, ce n'est certainement pas s'empiffrer d'une barre chocolatée dès qu'on a un petit creux ou de pop corn et de soda au cinéma.[...] Car être gourmand, ce n'est pas simplement aimer manger ce qui nous plaît ou ce que l'on connaît déjà. C'est aussi découvrir, faire la différence, reconnaître ce qui est le meilleur. Et puis, n'est-on gourmand que de nourriture ? Pensez à ceux qui dévorent les livres, des disques ou des images... Sont-ils curieux ou gourmands  ? 85

Pour rendre ces récits intéressants aux yeux de son lectorat, Roald Dahl ajoute à la curiosité et la gourmandise un soupçon d'imagination puisque c'est d'ailleurs l'imagination, selon lui, qui différencie l'enfant de l'adulte :

Pour écrire à l’intention des enfants, il faut avoir préservé deux caractéristiques fondamentales de ses huit ans : la curiosité et l’imagination. Personne ne se rappelle ce que c’est d’avoir six, sept ou huit ans. Vous pensez vous en souvenir, mais vous ne vous en souvenez pas le moins du monde !86

Les auteurs pour la jeunesse ont bien compris qu'il était inutile de parler du monde tel que l'adulte le percevait. Il existe cependant des dissensions à ce propos puisque certains refusent encore de voir l'enfant comme un être à part entière avec des besoins différents de ceux de l'adulte. Roald Dahl fait partie de ceux qui ont voulu appréhender l'enfant dans toute sa complexité, c'est pourquoi il imagine des mondes qui attirent la curiosité de celui-ci : « Les enfants, il faut les passionner, sinon ils vous laissent tomber et vont regarder la télévision. J'essaie d'écrire des histoires qui les saisissent à la gorge ; des histoires qu'on ne peut pas lâcher »87.

L'important dans les histoires de Roald Dahl est de montrer aux enfants que pour découvrir le monde il faut savoir transgresser les interdits. Les héros du corpus étudié ont tous transgressé les règles et les interdits pour pouvoir entrer dans un autre monde. En effet, James désobéit à ses tantes en mangeant et en entrant dans la pêche magique. Tante Éponge et Tante Piquette menacent James : « Et gare à toi si tu en [de la pêche] manges ! C'est nous, ta tante Piquette et moi, qui la mangerons »[28], « Ça ne te regarde pas »[32]. Matilda continue de se procurer des livres malgré la scène terrible où son père arrache les pages de son livre qu'il qualifie de « saleté » et lui demande avec véhémence si elle n'avait pas « quelque chose d'utile à faire, pour changer »[44]. Sophie, quant à elle, se lève malgré la menace de punition qui pèse sur elle : « Quiconque se faisait prendre hors de son lit après l'extinction des lumières était aussi puni. On avait beau dire qu'on se rendait aux toilettes, ce n'était pas une excuse suffisante et la punition tombait quand même »[16]. Charlie, pour manger des chocolats, dépense son billet qu'il a miraculeusement trouvé dans la neige alors qu'il aurait pu nourrir sa famille affamée.

La transgression semble alors nécessaire pour découvrir les nombreux secrets du monde. Cependant, le héros doit posséder une autre qualité : la patience. Roald Dahl montre à l'enfant qu'il n'est pas nécessaire d'aller trop vite dans sa quête de la vérité sur le monde. Tessa Dahl dans une lettre adressée à son défunt père explique cette double capacité, permettant de découvrir le monde « sans se brûler les ailes » : « Indication, suggestion et malice nous permettaient de faire nos propres découvertes du monde à notre rythme »88.

L'observation et la patience semblent être les clefs d'un passage en douceur vers l'âge adulte. L'enfant doit observer, découvrir plutôt qu'apprendre. Dans Du Récit Merveilleux ou l'ailleurs de l'enfance, Alain Montandon appelle cette capacité, l'« étonnement » :

L'étonnement, cette faculté sublime d'ouvrir les yeux, de sentir le vent frais du matin, de vivre à l'origine, de ressentir le choc d'un spectacle sans cesse changeant et renouvelé, explique aussi un des traits caractéristiques de la fascination, la passivité.89  

Ainsi, la relative inaction de Charlie dans la chocolaterie, s'explique tout naturellement à la lumière de cette réflexion. Il fait effectivement preuve d'une patience à toute épreuve malgré les nombreuses tentations et la faim qui le tenaille. Il observe avec fascination cette fabrique de chocolat et son propriétaire, Willy Wonka. Quant à Sophie, le BGG90 lui reproche ne pas être assez attentive, de ne pas assez écouter et surtout de trop parler. Sophie pense tout savoir et les réprimandes du BGG lui apprennent qu'il faut prendre le temps de grandir, c'est-à-dire ne pas chercher à tout savoir et apprendre à rester dans l'ignorance. L'aphorisme de Jean de La Fontaine, « Rien ne sert de courir il faut partir à point », correspond tout particulièrement au héros de James et la grosse pêche. En effet, pour chaque épreuve qu'il doit surmonter, James prend le temps d'analyser la situation avant d'agir.

1.1.2. Un merveilleux gourmand

L'enfant se trouve dans un monde où tout est source d'étonnement. Toutes les choses du monde semblent magiques à ses yeux. C'est peut-être ainsi qu'est né le merveilleux : lorsque tout n'est pas connu, il faut alors faire appel à l'imagination pour combler cette ignorance. Ainsi, le monde dans lequel les personnages de Roald Dahl évoluent est généralement merveilleux et incite l'enfant à s'émerveiller. Ce monde retient d'autant plus son attention qu'il est appétissant et que la nourriture y est pléthorique. Les adultes, bien au contraire, parce qu'ils croient tout connaître du monde, se cachent leur ignorance et perdent toute trace d'imagination. C'est pourquoi, les adultes ne rentrent qu'avec difficultés dans le pays de l'imaginaire, ils doivent redevenir enfants en réalisant des rites initiatiques.

La gourmandise, nous l'avons prouvé précédemment, est naturelle et instinctive. Elle constitue même un facteur essentiel à la survie de l'homme puisqu'elle lui permet de distinguer les aliments entre eux. Roald Dahl utilise cette « gourmandise primordiale » pour faire entrer le merveilleux dans ses récits, permettant ainsi à l'enfant d'avoir une autre vision du monde91. La gourmandise ouvre ainsi les portes d'un univers magique. Fénélon avait déjà décrit dans Voyage dans l'île des plaisirs un monde merveilleux où le plaisir alimentaire de la gourmandise arrive à son paroxysme :

Après avoir longtemps vogué sur la mer du Pacifique, nous aperçûmes de loin une île de sucre avec des montagnes de compote, des rochers de sucre candi et de caramel, des rivières de sirop, qui coulaient dans la campagne. Les habitants, qui étaient fort friands, léchaient tous les chemins, et suçaient leurs doigts après les avoir trempés dans les fleuves. Il y avait des forêts de réglisse, et de grands arbres d'où tombaient des gaufres qui tombaient dans la bouche des voyageurs.92

Dans Charlie et la chocolaterie, Roald Dahl nous offre une description similaire hormis le fait que dans un premier temps, l'usine ressemble de l'extérieur à toutes les autres. Le narrateur nous prévient qu'en entrant dans la chocolaterie Charlie et les autres protagonistes entrent dans un autre monde : « Les portes claquèrent et toute image du monde extérieur s'évanouit »[83]. Rapidement, le merveilleux apparaît avec la fabuleuse « salle au chocolat ». Les visiteurs en y pénétrant découvrent, en effet, un « fascinant spectacle » et Willy Wonka s'empresse de leur spécifier que « naturellement, tout cela se mange ! »[90] :

À leurs pieds s'étalait... une jolie vallée. De chaque côté, il y avait de verts pâturages et tout au fond coulait une grande rivière brune. Mais on voyait aussi une formidable cascade – une falaise abrupte par où les masses d'eau pleine de remous se précipitaient dans la rivière, formant un rideau compact, finissant en un tourbillon écumant et bouillonnant, plein de mousse et d'embruns. Des arbres et des arbustes pleins de grâce poussaient le long de la rivière : des saules pleureurs, des aulnes, du rhododendron touffu à fleurs roses, rouges et mauves. Le gazon était étoilé de milliers de boutons d'or.[87-88]

Il est évident dans James et la grosse pêche que c'est le fruit géant qui donne une dimension merveilleuse au récit. Ce n'est pas le vieillard ou les langues de crocodiles vertes et lumineuses qui sont à l'origine du merveilleux, mais bien la pêche dont on voit directement le pouvoir magique en action. Elle est magique parce qu'elle est le fruit d' un « misérable arbre ne port[ant] jamais de fruit »[26]et qu'elle est « aussi grande qu'une petite maison »[32].

Dans Le Bon Gros Géant, la frambouille est tout à fait extraordinaire. Cette boisson permet de voir le monde réel différemment, et c'est de cette manière que le merveilleux apparaît. En effet, le liquide vert pétille d'une « manière impressionnante », « au lieu de remonter et d'éclater à la surface du liquide, les bulles se dirigeaient vers le bas en éclatant au fond de la bouteille »[75]. Ces bulles provoquent « le crépitage » qui n'est « d'autre qu'un signe de bonheur »[78].

Le monde cartésien dans lequel nous vivons ne permet pas de passer entièrement dans le monde de l'imaginaire. Ainsi, l'encadrement discret du réel des récits de Roald Dahl rassure son lectorat. Il n'existe pas de merveilleux pur. D'ailleurs, il faut noter que la nature du merveilleux vient aussi de ce qu'il s'enracine constamment, inévitablement dans le réel.

1.1.3. Imagination et réalité

Dans ces récits, Roald Dahl effectue ainsi un dosage subtil entre irréel et réel. Le cadre de la réalité va de soi. Il ponctue, il rythme, il ordonne. Et le merveilleux naît d'un glissement incertain et fragile, issu de la transformation du quotidien qui réapparaîtra, à notre insu, sous les traits de la fantaisie et de l'insolite. La nourriture, objet quotidien par excellence, prend, chez Roald Dahl une dimension merveilleuse grâce à l'imagination.

Roald Dahl explique clairement que l'enfant possède une imagination sans limites que Saint-Pol-Roux décrit merveilleusement dans cette comparaison : « Le soleil pensé surpasse le soleil réel... L'univers n'est qu'un grain de sable auprès de la grandiose basilique épanouie dans le cerveau d'un enfant »93.

Bien au contraire les adultes cherchent à rationaliser le merveilleux. Ainsi, les parents refusent de voir dans leur fille Matilda, un prodige. Tante Piquette et Tante éponge enlèvent le caractère merveilleux de la pêche en lui conférant une valeur commerciale et donc matérielle : « cette pêche représente une grosse somme d'argent »[33]. Dans la chocolaterie, les parents des quatre enfants rassurent leur esprit cartésien en accusant Willy Wonka d'avoir perdu la raison (« Il a l'esprit dérangé ! » s'écria l'un des pères, consterné, et les autres parents se mirent à hurler en choeur. « Il est fou ! » crièrent-ils. « Il est cinglé ! » « Il est sonné ! » « Il est cintré ! » « Il est marteau ! » « Il est piqué ! » « Il est tapé !» « Il est timbré ! » « Il est toctoc ! » « Il est maboul ! » « Il est dingue ! » « Il est cinoque ! »[113]). Leur réaction est d'autant plus virulente lorsque, n'ayant plus de repaire, ils sont déstabilisés complètement par le mystère environnant. Ils n'ont plus aucune prise sur le monde réel tandis que le monde imaginaire et merveilleux qu'ils découvrent les effraie de plus en plus.

En revanche, dans Le Bon Gros Géant, le monde dans lequel évolue le BGG est stérile. Ce véritable désert, territoire des ogres, est à l'image de leur comportement puisque le seul but de ces ignobles personnages est de détruire. La stérilité du pays des géants métaphorise indubitablement le manque d'imagination des ogres. Quant au BGG, il accède au monde de l'imaginaire par substitution en capturant des rêves.

Néanmoins, il ne faudrait pas croire que Roald Dahl enseigne aux enfants à vivre toujours dans un monde imaginaire. Tessa Dahl explique clairement, dans un article intitulé « Once upon a time, childhood was made of magic... », l'importance de l'intégration du merveilleux dans le réel :

[Roald Dahl] ne m'a jamais surprotégée.[...] Si une alarme incendie retentissait, nous suivions le camion des pompiers jusqu'à sa destination finale. Les scènes de la vie réelle étaient entrelacées avec des scénarios issus de notre propre imagination. Nous devions les comprendre puis nous y projeter en imaginant ce à quoi ils pourraient ou auraient pu ressembler.94

Roald Dahl a recours au merveilleux pour détendre l'esprit du lecteur parce que comme l'explique Pierre-Maxime Schuhl « l'exercice de la pensée rationnelle soumet [notre esprit] à une contrainte pénible »95. L'imagination dans l'apprentissage des réalités du monde est essentielle à l'enfant. Le monde ne doit lui être livré que partiellement, le laissant progressivement s'emparer de la vérité des choses.

De fait, Tessa Dahl reproche à certains livres et films destinés aux enfants leur manque d'abstraction, interdisant ainsi la moindre part d'invention ou de fantaisie :

Il n'y a aucune subtilité, aucune fantaisie, aucun mystère du tout [...] Rien n'était laissé à l'imagination. Comme c'était différent avec toi [Roald Dahl]. Tu insistais pour toujours respecter les spectateurs et leur permettre de voyager dans leur propre monde et se former ainsi une histoire dans leur propre langage. Il me semble que de nos jours nous n'avons pas le droit ou le luxe de faire nos propres interprétations.96

Il faut donc laisser une grande part d'imagination dans la découverte du monde et surtout ne pas chercher à grandir trop vite, car vouloir tout connaître ou poser trop de questions est un frein à l'imagination.

Ainsi, Sophie, trop rationnelle, dément toutes les explications du BGG. Celui-ci lui explique que les apparences sont souvent trompeuses et ce que nous savons de la réalité se trouve parfois démenti. L'intelligence ne se mesure pas au savoir que l'on possède, mais bien à notre imagination. Le BBG reproche plusieurs fois à Sophie de ne pas être assez futée : « Tu n'es pas bien maligne, [...] tu as la tête plus vide qu'une cloche à fromage. »[34], « Ma parole, tu as de la purée de mouche dans le crâne ! »[36]. D'ailleurs, il hésitera à lui expliquer son activité de souffleur de rêves pensant qu'elle ne pourrait pas comprendre [49]. Mais la cause n'est pas due à son apparente bêtise, mais plutôt à son manque d'imagination.

Dans Charlie et la chocolaterie, Willy Wonka condamne rapidement Mike Teavea parce que cet enfant est totalement dépourvu d'imagination et par là n'a plus le comportement d'un enfant. Il contredit incessamment le chocolatier en croyant tout savoir sur le monde. En effet, à propos des Oompas-Loompas, Willy Wonka explique que ces ouvriers sont en chair et en os. Mikes incrédule déclare : « Impossible,[...] Des hommes si petits, ça n'existe pas ! » [93] Ou bien lorsque Willy Wonka explique qu'il a inventé un « caramel qui fait pousser les cheveux » et qu'il n'y aurait alors «plus d'excuses pour les petits garçons et les petites filles qui se promènent le crâne chauve ! », Mike Teavee rétorque que « les petits garçons et les petites filles ne se promènent jamais le... » [120]. Bien sûr, Willy Wonka ne le laisse pas finir. Ou bien encore, aux pages 161 à 163, Willy Wonka explique le fonctionnement de la télévision et la fabrication du « chocolat télévisé ». Mike Teavee persuadé de tout savoir sur cet objet qu'il idolâtre infirme là encore les hypothèses de l'inventeur.

Roald Dahl laisse justement une place importante à l'inventivité, fondamentalement liée à la gourmandise dans ses livres. Cette créativité gourmande est propre à chacun. Ainsi, Roald Dahl nous offre sa propre conception de la nourriture. En effet, nous l'avons stipulé dans la première partie, le goût n'est pas qu'une simple sensation, elle est surtout la résultante d'une perception chargée de significations provenant de l'apprentissage et de souvenirs personnels. Grâce à ces apports inconscients, les aliments seront toujours associés à une créativité autour de la gourmandise.

1.2. À l'école de la gourmandise

1.2.1. Un apprentissage appétent

Pour faciliter l'apprentissage, les pédagogues ont toujours essayé de rendre celui-ci attrayant en l'associant généralement à une activité ou à une pensée agréable. Roald Dahl a choisi d'allier l'apprentissage à la gourmandise. Cette « gourmandise éducative », nous la retrouvions déjà dans l'Émile de Rousseau.

En effet, Jean Jacques Rousseau et Roald Dahl ont tous deux pour objectif de transmettre des connaissances, mais aussi de préserver les qualités propres de l'enfance bien que les avis divergent sur ce que sont ces qualités. L'un veut préserver la bonté et la stabilité originelle de l'enfant, tandis que l'autre espère préserver son imagination. « Manipulant »97 leur jeune public en jouant sur leur corde sensible, la gourmandise, ces deux pédagogues arrivent à préserver les qualités de l'enfant. Il n’en demeure pas moins qu’ils réussissent à lui transmettre un apprentissage tout en prenant garde à ne pas forcer les enfants à ingérer des connaissances abruptement. La transmission du savoir se fera en quelque sorte d'elle-même au contact des choses : les connaissances entrent alors dans leurs esprits sans qu’ils s’en rendent vraiment compte, sans qu’ils aient l’impression d’être en train d’apprendre.

Quoi qu'il en soit, l'un comme l'autre semblent voir le grand avantage de la nourriture pour manipuler et intéresser les enfants. Rousseau semble croire en la possibilité de transformer la chair en esprit, c’est-à-dire de partir du plus corporel pour se rendre au plus spirituel. L'enfant serait effectivement attiré instinctivement par ce qui stimule ses sens qui sont « les premières facultés qui se forment »98. Avant d'être un être moral, il est avant tout un être physique et sensible. Les enfants étant d’abord et avant tout des êtres de sensations, ils seront sensibles à tous les plaisirs sensoriels : ils aimeront la sensation de l’eau sur leurs mains, ils aimeront les couleurs vives et, par-dessus tout, ils aimeront ce qui flatte leur palais. En effet, comme le dit Rousseau, « de nos sensations diverses le goût donne celles qui généralement nous affectent le plus. […] Mille choses sont indifférentes au toucher, à l’ouïe, à la vue ; mais il n’y a presque rien d’indifférent au goût »99.

C’est donc de cette propension des enfants à rechercher la jouissance physique ou sensorielle que découle la possibilité pour le gouverneur de faire une éducation par la bouche en attirant simplement son public par l’estomac ou par le palais. Il est envisageable pour Jean-Jacques Rousseau, et pour Roald Dahl également, de «mener des armées d’enfants au bout du monde» 100. Par ailleurs, il faut préciser ici que cette « gourmandise éducative » a tendance à disparaître dans les livres destinés à un lectorat plus âgé.

Les théories des deux auteurs semblent assimilables, mais elles divergent sur le statut accordé à la gourmandise. Alors que Rousseau explique que la passion pour la gourmandise disparaît dès l'éveil sexuel, Dahl condamne l'enfant qui se jette sur la nourriture, il condamne la gloutonnerie, et refuse avec insistance de permettre à l'enfant de ne vivre que pour la nourriture.

1.2.2. Des inventions « savourables » et « putréfiantes »101

Dans l'oeuvre de Roald Dahl, la nourriture est souvent le prétexte au jeu et à l'invention, au grand dam des adultes qui ne cessent de proférer la menace du « Ne joue pas avec la nourriture ! ». La fascination de Roald Dahl pour la nourriture remonte à sa plus tendre enfance. En effet, le jeune Roald Dahl rêvait déjà de pouvoir inventer de fabuleuses recettes au chocolat :

Pour moi, le plus important, c'était que je commençais à me rendre compte que les plus grandes fabriques de chocolat possédaient réellement des « laboratoires de recherche » et qu'elles prenaient leurs inventions très au sérieux. J'imaginais une longue pièce blanche, avec des chaudrons pleins de chocolat, de caramel et une foule d'autres mélanges délicieux bouillonnant sur des fourneaux, tandis que des hommes et des femmes en blouse blanche circulaient de chaudron en chaudron, mélangeant, concoctant leurs merveilleuses trouvailles. Je me voyais moi-même travaillant dans un de ces labos et, un beau jour, je mettais au point une friandise d'un goût si délicieux (...)102

Loin des contraintes et des pressions alimentaires imposées par les adultes, l'enfant ouvre une nouvelle dimension à la nourriture grâce à des lieux qui permettent l'invention comme le laboratoire d'une chocolaterie ou bien la dînette. La nourriture se fait alors gourmande parce que rien ne remplace le plaisir de manger pour de faux. En effet, le dessert que l'on s'invente correspond aux réminiscences de tous les desserts délicieux mangés auparavant. Le dessert inventé surpasse le dessert réel. Noëlle Châtelet explique très bien ce phénomène de la dînette dans un article intitulé « on dirait que ce serait » :

La mousse au chocolat de maman est certes délicieuse, mais elle a aussi un je-ne-sais-quoi de limité. Bref, elle a le goût exclusif du chocolat, rien d’autre que ce goût-là. Pas de rêverie possible avec elle. On bute sur l’objet même, sur le chocolat réduit à soi-même, à sa réalité. Il n’y a pas de surprise avec la mousse au chocolat de maman [...] tandis que la mousse qui se fabrique au fond du jardin avec la terre volée dans les plates-bandes, cette terre un peu collante qu’il faut nettoyer, au mieux des cailloux, au pire des animaux grouillants de toutes sortes, cette mousse quand on la mange sans la manger, en faisant semblant [...] eh bien cette mousse a un goût de chocolat comme seul on peut le rêver. C’est un chocolat paradisiaque, un chocolat sublimé par la vertu de la croyance, [...] un chocolat qui défie toute concurrence.103

Dès lors, pendant la dînette, les lois de la cuisine ne sont plus celles des adultes mais celles de la fantaisie. L'impossible devient possible grâce aux règles enfantines, et même le répugnant affecte un aspect attrayant. Dans Moi, Boy, un camarade de Roald Dahl explique la recette des réglisses :

Ils attendent d'avoir dix mille rats [...]puis ils les empilent tous dans un gigantesque chaudron de cuivre brillant où ils les font bouillir pendant plusieurs heures. Deux hommes remuent le mélange en ébullition avec de longues perches et, pour finir, ils obtiennent un épais ragoût de rats fumant. Après ça, un broyeur est immergé dans le chaudron pour broyer les os ; le résultat final est une sorte de bouillie épaisse appelée purée de rats. [...] Deux hommes [...] descendent dans le chaudron et, armés de pelles, jettent la purée de rats brûlante sur le sol en ciment. Ils passent et repassent ensuite dessus avec un rouleau compresseur pour l'aplatir. Il en résulte une sorte de gigantesque crêpe noire et il leur suffit ensuite d'attendre qu'elle ait refroidi et se soit durcie pour la couper en lanières et obtenir ainsi des lacets de réglisse.104

On retrouve d'autres recettes toutes aussi peu ragoûtantes dans de nombreuses histoires de Roald Dahl. Un livre publié à titre posthume reprendra toutes les recettes « délicieusement épouvantables » de l'oeuvre de Dahl. Les nouvelles recettes irrésistibles de Roald Dahl105 sont effectivement une compilation de recettes plus ou moins faciles à réaliser, mais toutes plus étonnantes les unes que les autres. Certaines recettes sont plutôt « classiques » – nougatines à la fraise enrobées de chocolat, pommes au caramel, etc. –, tandis que d'autres sont plus originales – les doigts de moustiques frits le plus délicatement du monde, le papier peint à lécher pour les chambres d'enfant, ...

Notre corpus présente toutes les caractéristiques des recettes extraordinaires de Roald Dahl à la fois « répugnables » et « savourables ». Le livre Matilda confirme notre idée selon laquelle la gourmandise est un moteur d'apprentissage pour les enfants. Ce livre destiné à un lectorat plus âgé n'est pas truffé de recettes extravagantes.

Dans Le Bon Gros Géant, on retrouve des aliments incongrus, les géants se régalent d'hommes aux goûts variés. Mais l'aliment le plus extraordinaire est la frambouille dont les bulles vont du haut vers le bas. Sophie raconte ses sensations après en avoir bu :

C'était doux et rafraîchissant, avec un goût de vanille et de crème relevé d'une pointe de framboise. Et les bulles étaient merveilleuses. Sophie les sentait rebondir et éclater dans son ventre. C'était une sensation délectable. Il lui semblait que des centaines de personnages microscopiques s'étaient mis à danser la gigue dans son estomac en la chatouillant de leurs orteils. C'était vraiment magnifique.[80]

Mais le plaisir, selon Roald Dahl, ne s'arrête pas là puisque l'absorption de cette boisson est accompagnée de l'euphorique et réjouissant « crépitage ».

Dans James et la grosse pêche, ce sont les insectes qui nous font profiter de leurs recettes. Est-il bien utile de préciser que celles-ci sont peu ragoûtantes ? Citons par exemple les recettes épouvantables du mille-pattes qu'il délivre dans une chanson dont voici un court extrait :

J'ai mangé bien des plats délicieux/Des moustiques en gelée, des lobes d'oreilles au riz/Des souris à la neige, c'était exquis/Des rôtis de rats (aspergés de pipi)(...)[75-76]

Enfin, la gourmandise de Roald Dahl est indubitablement associée à la créativité, ceci encore plus particulièrement dans la chocolaterie de Willy Wonka. Les inventions de ce savant fou sont merveilleusement fantastiques, à savoir « une crème glacée qui ne fond jamais, même par la plus grande chaleur », « une gomme à mâcher qui ne perd jamais sa saveur », des « ballons de confiserie gonflables et crevables »[29], la cascade de chocolat, le smucre[90], des « bonbons acidulés inusables »[118], du « caramel qui fait pousser les cheveux »[120], une gomme qui permet de prendre un vrai repas , des « oreillers mangeables en pâte de guimauve » et le « papier peint qui se lèche pour chambres d'enfant »[136], les « crèmes glacées chaudes pour les jours de grand froid »[137] ainsi que toutes les recettes sur les boutons du grand ascenseur de verre [154].

On retrouve déjà dans Alice au pays des merveilles cet émerveillement pour la création d'aliments ou plutôt de friandises extraordinaires. Comparons ainsi les effets du flacon magique de Lewis Carroll indubitablement semblables à ceux de la gomme à mâcher de Willy Wonka. Lorsque Lewis Carroll écrit :

Néanmoins, comme il n'était pas écrit « poison » sur le flacon, Alice s'aventura à y goûter, et, trouvant le breuvage très bon (il alliait les saveurs de la tarte aux cerises, de la crème anglaise, de l'ananas, du rôti, du caramel et du toast encore chaud), elle eut tôt fait de la finir.106 

Roald Dahl nous renseigne sur le chewing-gum Wonka :

Rien qu'une petite barre magique de chewing-gum Wonka ! Elle remplacera votre petit déjeuner, votre déjeuner, votre souper ! Ce morceau de gomme que vous voyez là représente justement une soupe à la tomate, un rosbif et une tarte aux myrtilles.[124-125]

Ces deux friandises ont un deuxième aspect en commun : le risque. Le flacon qu'ingurgite Alice pourrait être du poison et la gomme de Violette est un prototype qui a encore des effets secondaires très désagréables. Mais le risque n'est-il pas un moteur de l'imagination ?

Toutes ces recettes « délicieusement épouvantables » sont des invitations à l'imagination qui pénètre dans le quotidien à travers l'alimentation. Ces recettes ou inventions culinaires sont aussi un formidable moyen pour s'approprier les règles imposées par les adultes, mais en les réinventant afin de goûter à la liberté.

1.2.3. La nourriture : un obstacle à l'apprentissage ?

Dans les livres de Roald Dahl, la liberté se retrouve dans tout apprentissage. L'enfant évolue librement sans qu'il n'y ait aucune autorité qui dicte sa conduite. Roald Dahl ne force pas ses héros à apprendre à travers la rigueur qu'inflige l'école. Par exemple, James âgé de sept ans devrait aller à l'école, mais ses tantes le séquestrent. Quant à Charlie, le narrateur évoque seulement le chemin qu'il fait pour y arriver et l'envie que suscitent les friandises des autres petits garçons. Et ce n'est pas dans l'école sordide dirigée par Mlle Legourdin que Matilda a acquis ses connaissances. Autodidacte, elle a tout appris dans les livres.

Ainsi, il semblerait qu'aucun adulte n'intervienne dans l'éducation des héros de notre corpus. La plupart du temps, les « grandes personnes » sont même considérés comme un frein dans leur apprentissage. Dans son autobiographie, le jeune Roald et ses camarades considéraient l'équipe enseignante du collège de Saint Peter's comme inquiétante : « Pour nous un adulte était un adulte, et tous les adultes étaient des créatures dangereuses dans cette école »107.

Quoi qu'il en soit, ce ne sont pas les adultes en eux-mêmes qui sont dangereux, le danger provient des adultes parce qu'ils laissent leurs enfants dans l'ignorance. On constante en l'occurrence que souvent l'omniprésence de la nourriture joue un rôle important dans ce manque d'enseignements. Dans la famille Verdebois, la nourriture se consomme devant la télévision. Elle se connote donc d'une déculturation. Absorbés par les feuilletons et les émissions de variétés abrutissantes, les parents de la petite Matilda n'ont pas conscience de son génie.

Dans la famille Bucket, la nourriture prend tout autant de place dans les esprits. En effet, la famille affamée ne pense plus qu'à son ventre vide. Les parents de Charlie sont bien trop occupés à nourrir toute la famille pour pouvoir aider leur enfant.

On apprend aussi que la mère d'Augustus Gloop laisse son fils s'enfermer dans un monde dédié uniquement à la gloutonnerie :

Manger, c'est son dada, que voulez-vous ? C'est tout ce qui l'intéresse. [...] Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'il ne mangerait certainement pas autant si son organisme ne le réclamait pas, qu'en pensez-vous ? Il lui faut des vitamines, à ce petit.[37]

Elle ne cherche pas à orienter son fils vers d'autres plaisirs. On pourrait voir dans cette mère, la caricature de la mère possessive et surprotectrice qui voudrait sans doute que son enfant reste le plus longtemps possible un beau bébé potelé.

De même, la mère de Violette Beauregard, extrêmement laxiste avec sa fille, la laisse aussi s'enfermer dans un seul plaisir « mâcher du chewing-gum ». Cette friandise lui est devenue tellement indispensable qu'elle avoue « ne se sentir[...] pas bien dans [sa] peau si [elle] ne pouvai[t] pas mâcher toute la journée [son] petit bout de chewing-gum »[49].  

Mais où nos héros apprennent-ils ce qu'ils savent ? Dans notre corpus, la culture se transmet à l'oral et à l'écrit. Roald Dahl se sentait investi d’une véritable mission en faveur de la lecture. D'ailleurs, il a créé une fondation, Roald Dahl's Fondation, gérée depuis sa mort par Licey Dahl, qui se consacre à des causes chères à l'écrivain : la neurologie, la dyslexie, l'illettrisme et bien sûr l'encouragement à la lecture.

On constate alors que la culture écrite prend une place importante dans ses récits. Celle-ci est largement valorisée dans Le Bon Gros Géant, où grâce à Nicholas Nickleby de Charles Dickens, le gentil géant a réussi à apprendre à lire et à écrire. Autodidacte également, Matilda a appris tout ce qu'elle sait dans les livres, notamment de Charles Dickens.

Mais pour d'autres, la culture se transmet également à l'oral avec les fabuleux récits de Grand-papa Joe. James, quant à lui, privé de culture par ses tantes, apprend de ses amis, les insectes. Le BGG, lui-même, inspire aux enfants des rêves qui peuvent être considérés comme un apprentissage oral puisqu'ils sont transmis de bouche à oreille. À l'image des Indiens d'Amérique, le BGG pratique la chasse aux rêves, mais c'est pour les insuffler ensuite dans la « caboche de la marmaille » qu'il visite chaque nuit, en vieux patriarche bienveillant.

Le monde de Roald Dahl serait-il semblable au Pays de Nulle Part de Peter Pan ? Serait-il ce « monde imaginaire enfantin » qui serait aussi « un refuge de l'univers des adultes rempli de règles et d'obligations »108 ? On pourrait alors s'interroger comme le fait Marc Soriano dans son Guide pour la littérature pour la jeunesse109 du danger de rendre constamment inférieurs les adultes par rapport aux enfants. Ainsi, l'enfant en lisant des histoires où les adultes lui sont inférieurs peut être déçu, car il se rend compte rapidement selon Bruno Bettelheim que « ses parents continueront, pendant longtemps encore, de lui être supérieurs »110.

Qu'importe ces problèmes de conscience pour Roald Dahl, celui-ci veut simplement montrer aux enfants qu'ils peuvent avoir quelques fois, mais pas toujours – puisque l'enfant serait capricieux, la possibilité d'être plus forts que les adultes.

1.3. La sévérité des enseignements

Les livres de Roald, bien que tous différents, présentent des constantes indéniables comme le besoin d'aller bien au-delà de la réalité, d'emmener le lecteur dans les délires de son imagination, de lui faire oublier le monde réel, ou bien encore de le mettre en appétit avec des friandises étonnantes. Quoi qu'il en soit du merveilleux de ses histoires, la plupart de ses récits sont empreints d'un objectif moralisateur.

1.3.1. Des récits moralisateurs

Dans sa Préface aux Contes en vers, Perrault affirmait que dans les contes inventés par nos aïeux pour les enfants « partout la vertu y est récompensée, et partout le vice y est puni ». On retrouve de manière évidente cette morale de conte dans les chansons des Oompas-Loompas. En outre, parmi les vices montrés du doigt par Roald Dahl, la gourmandise excessive à savoir la gloutonnerie est l'un des plus fermement condamnés. Seule la gourmandise raisonnable de Charlie, Sophie, James et Matilda est valorisée. Ces enfants sont récompensés parce que leurs actions sont réfléchies et mesurées, et elles ne sont plus impulsives et primaires comme celles des ogres, des quatre autres enfants dans Charlie et la chocolaterie, ou bien de l'enfant volant une part de gâteau dans Matilda.

Roald Dahl utilise une pédagogie similaire à celle de Fénelon. Celle-ci consiste en effet à montrer le plaisir dans sa forme la plus appréciable et enviable pour ensuite démontrer que s'adonner à la passion est source de bien des tourments. Dans Le Voyage dans l'île des plaisirs, Fénelon prône le contrôle des plaisirs :

(...)je compris par expérience qu'il valait mieux se passer des choses superflues que d'être sans cesse dans de nouveaux désirs, sans pouvoir jamais s'arrêter à la jouissance tranquille d'aucun plaisir.111

On ne peut pas tout le temps s'adonner aux plaisirs, car on finit par ne plus aimer ce qui est bon :

Écoeurés par trop de nourriture, les gens n'ont plus aucun plaisir en mangeant, à un tel point qu'il y a sur l'île des plaisirs « des marchands d'appétit.112

L'île des plaisirs n'est en fait qu'un leurre, un appât factice qui entraîne le protagoniste dans l'excès. À quoi bon l'excès, s'il n'y a plus le plaisir de manger ou s'il faut recourir à un « marchand d'appétit ».

D'autre part, Roald Dahl veut faire disparaître l'égoïsme, l'amour de soi naturel de l'enfant. Il veut lui apprendre à se tourner vers le monde et les autres. C'est pourquoi l'enfant doit apprendre le partage grâce à la nourriture. En effet, s'alimenter peut paraître comme un acte individuel, voire égoïste ; il doit devenir un acte social. Nous avions déjà cité, dans la première partie, l'article de Claude Fischler intitulé « le bon et le saint » expliquant tout le poids social de la nourriture. En effet, selon ce sociologue, « le partage de la nourriture est l’un des éléments centraux de l’organisation sociale, dès les origines de l’humanité ». La transgression de cette règle sociale entraîne obligatoirement une volonté de marginalisation. C'est pourquoi, lorsque Augustus Gloop – ou même Tante Éponge – est montré du doigt, ce n'est pas à cause de son apparence physique, mais parce qu'il représente celui qui mange plus que sa part, et cela est « une transgression grave de la sociabilité »113.

La gourmandise selon Roald Dahl doit être partagée. De fait, cette générosité alimentaire démontre alors les vertus exceptionnelles de nos héros. Ainsi, James à la fin de ses péripéties offre à tous les enfants de New-York de manger sa pêche expliquant que « la pêche est à tout le monde »[154]. Grâce à cet acte généreux, il est récompensé puisque son rêve le plus cher se réalise : « Quant à James, qui n'avait jamais vu tant d'enfants ensemble, jamais, pas même en rêve, il était heureux comme un roi »[154].

Quant à Charlie, il fait profiter toute sa famille de sa bonne fortune. Grâce à lui, la famille aura toujours de quoi manger et bien plus encore : « –Trouverons-nous quelque chose à manger, là-bas ? demande grand-maman Joséphine. Je meurs de faim ! Toute la famille meurt de faim !  – À manger ? dit en riant Charlie. Oh ! Attendez-voir ! ». Cette dernière phrase est chargée de sens quant aux merveilles qui attendent toute la famille.

Parce qu'il a toujours refusé de manger des êtres humains, le BGG est lui aussi récompensé pour sa bravoure. Sophie lui promet en effet qu'une fois leur « grand projet » accompli, il ne sera plus obligé de manger les nauséabonds et répugnants « schnokombres ».

1.3.2. Les punitions par la nourriture

Pourtant, des parents, des critiques, etc. disent que ces récits sont absolument immoraux. Ces derniers, délicieusement macabres, sont peuplés d'adorables méchants, de monstres, d'ogres, de suceurs de sang et de sorcières cachant leur calvitie sous des perruques. Tous ces étranges personnages sont très subversifs. Jean-Luc Douin raconte que sa première femme, la comédienne Patricia Neal, l'avait surnommé « Roald le Pourri », un affectueux sobriquet soulignant sa mauvaise langue, ses cibles préférées dans ses livres étant les « dames qui écrivent des romans à l'eau de rose pour les mômes »114.

Dans l'oeuvre de Roald Dahl, l'alimentation n'a plus seulement la fonction de nourrir, mais elle est le moyen, pour notre auteur, de récompenser, mais aussi de punir sévèrement le fautif. La punition est pratiquée lorsqu'une personne est entièrement corrompue et souffre de nombreux défauts. Elle semble le remède nécessaire pour « assainir » l'esprit du fautif. En l'occurrence, on remarque que dans les différents livres les personnages, qui ont commis une faute ou dont le comportement - souvent alimentaire - a dévié, seront punis par là où ils ont commis la faute.

Ainsi, dans Charlie et la chocolaterie, les quatre enfants - et leurs parents - reçoivent un châtiment correspondant à leur défaut. C'est Willy Wonka qui se charge de punir les caractères déviants de ces enfants. Celui-ci est un personnage très subversif parce qu'il ne semble pas étonné ni effrayé par les mésaventures des quatre enfants. Augustus, parce qu'il s'est laissé conduire pas sa gourmandise excessive, tombe dans la rivière de chocolat et est aspiré par un tuyau. Willy Wonka assure qu'aucun mal ne lui sera fait. Il laisse entendre que cette expérience sera même bénéfique pour lui : « Augustus va faire un petit voyage, c'est tout. Un très intéressant petit voyage. »[102] ; Violette Beauregard se trouve transformée en myrtille à cause de sa friandise préférée, le chewing-gum, qui est, selon les Oompas-Loompas, comme le crime : il ne « paie jamais » [131] ; Véruca Salt est comparée à la nourriture du vide ordure. En anglais, Véruca est qualifié de « brat », ce qui signifie qu'elle est une gamine trop gâtée par ses parents, autrement dit qu'elle est aussi « pourrie » que les déchets !

Dans James et la grosse pêche, les tantes de James sont écrasées par la pêche. Cette dernière punit à la fois l'avarice de Tante Piquette puisqu'elle veut devenir millionnaire grâce à elle, et la gloutonnerie de Tante Éponge qui aimerait bien se la garder pour elle seule et la manger. Encore une fois, la punition vient de la nourriture, car c'est bien la pêche géante qui réduit à néant les deux tantes de James.

Dans Le Bon Gros Géant, les ogres sont punis parce qu'ils ont mangé des hommes. Ils seront donc condamnés à manger les nauséabonds et répugnants schnockombres.

Mlle Legourdin, dans Matilda, punit Julien Appollon d'avoir volé par gourmandise une part de gâteau. Sa punition consiste alors à devoir avaler devant toute l'école un énorme gâteau : « Si je te dis de manger, tu manges ! Tu voulais du gâteau. Tu as volé du gâteau ! Et, maintenant, tu es servi. Et tu vas le manger. Tu ne quitteras pas cette estrade et personne ne sortira de cette salle avant que tu aies mangé entièrement le gâteau posé devant toi ! »[127-128].

La découverte du monde s'accompagne de merveilles extraordinaires ainsi que de nombreux revers de fortune, d'événements incongrus et désagréables. Le comportement qu'adopte le personnage entraîne effectivement soit de mauvaises aventures soit de bonnes surprises. Tout cela dépend de la responsabilité de ses actes où chaque faux pas est pénalisé par le narrateur. On constate alors que la gourmandise intervient non seulement dans la conquête du monde, mais aussi dans la quête de soi.

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